Méditation, relaxation et sophrologie sont des pratiques de plus en plus répandues en Occident, notamment en vue d’obtenir un état de bien-être qui est un des éléments de la bonne santé. Il ne s’agit pas de pratiques médicales, même si les médecins s’y intéressent de très près.
Méditation, relaxation et sophrologie sont à la mode depuis quelques décennies dans les pays occidentaux. Elles appartiennent au vaste fourre-tout de ce qu’il est convenu d’appeler le « développement personnel ». Mais la pratique de la méditation est très ancienne.
La partie de cet article consacrée à la méditation a été largement inspiré par le dernier ouvrage du philosophe et sociologue Frédéric Lenoir, méditant de longue date, Méditer à cœur ouvert, paru fin 2018.
Méditation religieuse : les monothéismes
Dans toutes les religions, qu’il s’agisse des monothéismes ou des spiritualités asiatiques (qui ne sont pas des religions à proprement parler), on trouve des pratiques de méditation.
Dans le judaïsme, méditer c’est, d’une part apprendre par cœur les textes saints (la Torah), d’autre part les décortiquer sans fin pour les interpréter, ce qui est le propre du travail talmudique.
Dans le christianisme des origines, on trouve également cette mémorisation avec rumination des textes sacrés, mais aussi des recueils de sentences transmises par les Anciens, les apophtegmes. Au Moyen Âge est codifiée la graduation de la pratique spirituelle : lectio (la lecture), meditatio (la méditation), oratio (l’oraison) et contemplatio (la contemplation). Dans le courant carmélitain initié en Espagne au XVIème siècle par les mystiques Thérèse d’Avila et Jean de la Croix est très présente la notion d’attention, la pratique spirituelle consistant essentiellement en une « attention aimante » qui passe par l’oraison silencieuse. Ignace de Loyola, le fondateur de l’ordre des Jésuites, a rédigé des Exercices spirituels pour aider les pratiquants à méditer et à prier.
Dans le christianisme oriental on trouve une pratique méditative encore très présente chez les moines orthodoxes, l’hésychasme, ou « prière du cœur ».
Dans l’islam on trouve une pratique assez semblable à la méditation juive ou chrétienne, la méditation coranique (taffakur), qui ne se limite pas à apprendre par cœur les sourates du Coran. Il existe également dans la tradition soufie une pratique méditative appelée Murâqaba.
Méditation dans les spiritualités asiatiques
Patañjali, dans le Yoga-Sûtra, le texte fondateur du yoga, établit une hiérarchie entre concentration (dhãranâ), méditation (dhyãna) et contemplation (samãdhi). Contrairement à la mystique chrétienne, dans laquelle l’objet de la contemplation est uniquement Dieu, dans le yoga la méditation et la contemplation peuvent s’appliquer à toutes sortes d’objets. Le philosophe indien Krishnamurti indique que la méditation est une qualité d’attention et de silence total qui envahit l’esprit.
Dans la tradition hindouiste issue des Upanishad (textes philosophiques fondateurs de l’hindouisme), il existe une pratique méditative dénuée d’objet et de support, qui permet une présence silencieuse à la réalité dans le but de calmer l’esprit pour parvenir au détachement. On suppose que c’est ce genre de méditation que pratiquait le prince Siddhãrta Gautama lorsqu’il est devenu l’« Éveillé », autrement dit le Bouddha. La tradition bouddhiste distingue deux types de pratique méditative : le calme intérieur (samatha en sanscrit, chiné en tibétain) et la vision de sagesse pénétrante (vipassanã en sanscrit, lhaktong en tibétain), qui permet de saisir la vraie nature de la réalité.
La méditation japonaise zen connaît cette même division en deux étapes, qui va du calme intérieur à l’illumination (satori). Le zen est une branche japonaise du bouddhisme mahãjãna. La méditation zen se pratique dans la posture assis dite zazen. L’équivalent chinois du zen est le chan, influencé par le taoïsme, et son équivalent coréen le son.
Le bouddhisme tibétain ajoute à la méditation (dhyãna) un certain nombre de pratiques exubérantes sous forme de rituels divers.
Dans l’hindouisme, le jaïnisme et le bouddhisme, le but ultime de la méditation est le nirvãna, quasi inatteignable pour le commun des mortels (sauf pour le Bouddha). Ce terme signifie « extinction » (des passions, de l’ignorance), ou « libération » (du cycle des réincarnations, le samsãra).
La méditation bouddhiste, qui n’est plus guère pratiquée que par une toute petite minorité de bouddhistes en Asie, au profit d’une religiosité populaire à base d’offrandes, a essaimé en Occident dès la fin des années soixante grâce à des maîtres qui se sont expatriés. La méditation bouddhiste importée en Occident s’est alors adaptée aux contextes culturels qu’elle rencontrait, notamment juifs et chrétiens, et surtout laïques. Cette méditation laïque vise à lutter contre le stress, à développer les capacités d’attention et à apporter la paix intérieure.
Méditation laïque : la méditation de pleine conscience ou mindfulness
La méditation non religieuse remonte à la philosophie de l’Antiquité gréco-romaine. Il existait une première pratique de la méditation philosophique qui consistait à mémoriser et à se répéter les grands principes de la doctrine de l’école choisie par le disciple, comme cela se fait dans toutes les religions. Mais la plupart des écoles philosophiques, notamment le stoïcisme, proposaient aussi à leurs partisans des « exercices spirituels », comme l’a bien montré l’historien de la philosophie Pierre Hadot. On pense en particulier aux Pensées pour moi-même de l’empereur-philosophe Marc Aurèle, ou au Manuel et aux Entretiens d’Épictète. Marc Aurèle recommandait de faire régulièrement retraite à l’intérieur de soi, dans sa « citadelle intérieure ». Ce qui se rapproche le plus de la méditation laïque contemporaine, c’est l’importance donnée à l’attention : « L’attention est nécessaire en tout, jusque dans les plaisirs même » peut-on lire dans les Entretiens d’Épictète.
La pleine conscience est une expression utilisée dans le bouddhisme, notamment le bouddhisme zen et le bouddhisme tibétain, et dans la méditation laïque occidentale, cette dernière connaissant un essor fulgurant depuis une trentaine d’années. Selon l’enseignement du Bouddha (Siddhãrta Gautama), la pleine conscience, ou présence attentive, désigne la conscience vigilante des pensées, actions et motivations du méditant.
En anglais, on parle de mindfulness s’agissant de la méditation laïque. Selon Frédéric Lenoir, la traduction du terme mindfulness par l’expression « pleine conscience » n’est pas opportune, compte tenu du caractère polysémique du mot conscience. Il préfère parler de « pleine présence », ce qui rejoint la notion de « présence attentive » parfois utilisée pour désigner le concept de pleine conscience bouddhiste. Il propose aussi les expressions « pleine attention », ou encore « pratique de l’attention », notamment lors du travail avec des enfants.
La méditation dite de pleine conscience se focalise principalement, mais non exclusivement, sur l’attention donnée au souffle et aux sensations corporelles.
Recherches scientifiques sur la méditation
D’après l’article de Wikipédia consacré à la méditation, la bibliographie de l’Institute of noetic sciences sur les différentes formes de méditation comporte, en 2018, plus de 6000 références, pour la plupart en langue anglaise. Dans les années 70–80, deux chercheurs pratiquants assidus de la méditation, l’américain Jon Kabat-Zinn, spécialiste en biologie moléculaire, et le chilien Francisco Varela, spécialiste en neurosciences, se sont intéressés scientifiquement à la méditation, le premier à des fins thérapeutiques (ses recherches portaient sur le rôle de l’esprit dans la guérison), le second pour étudier les effets de la méditation sur le fonctionnement cérébral, notamment grâce à l’IRM fonctionnelle, et avec l’aide de méditants très avancés comme le moine bouddhiste tibétain Matthieu Ricard, scientifique de formation (il est docteur en génétique cellulaire, et par ailleurs le fils du philosophe Jean-François Revel), et avec le soutien du Dalaï-Lama. C’est à Jon Kabat-Zinn que l’on doit la mise au point du mindfulness, qu’il définit comme « une attention délibérée, sans jugement et dans l’instant présent ». Il va plus loin avec la MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction), destinée à combattre le stress et les états anxieux. D’autres chercheurs et médecins vont créer, à partir de la mindfulness, de nouveaux protocoles thérapeutiques comme la MBCT (Mindfulness-Based Cognitive Therapy), destinée plutôt à des malades hospitalisés en psychiatrie, comme l’indique le psychiatre Christophe André, qui a popularisé la méditation de pleine conscience en France (et introduit la MBCT à l’hôpital Sainte-Anne où il travaille). Un autre nom important dans ce domaine, du moins en France, est celui du philosophe Fabrice Midal.
La méditation a fait son entrée dans les facultés de médecine françaises, à Strasbourg d’abord où a été créé un master intitulé « Médecine, méditation et neurosciences », puis à Nice et Montpellier-Nîmes, facultés qui proposent un diplôme universitaire « Méditation et santé ».
On observera que le même type de validation scientifique d’une pratique mentale a été tenté avec succès pour l’hypnose, grâce à l’imagerie fonctionnelle.
Critiques vis-à-vis de la méditation. Dérives sectaires
La première critique que l’on peut faire à la mode de la méditation, c’est une dérive utilitariste, comme cela se passe parfois dans le monde de l’entreprise où sa pratique est supposée optimiser les performances des salariés en diminuant leur niveau de stress. Un autre risque tient au formidable succès de librairie des auteurs spécialisés dans le développement personnel et la philosophie du bonheur. Leurs lecteurs pourraient perdre tout esprit critique et adhérer sans réserve à d’éventuelles affirmations très enthousiastes mais non validées scientifiquement sur les effets bénéfiques de la méditation. Quand on sait à quel point il est facile de diffuser de fausses informations sur les réseaux sociaux, le risque est loin d’être négligeable.
Le fait que de nombreuses études scientifiques aient été publiées sur la Méditation transcendantale ne doit pas aveugler les observateurs car nombre d’entre elles ont été financées par son fondateur, le richissime gourou Maharishi Mahesh Yogi, celui-là même qui initia les Beatles, en particulier George Harrison, le plus réceptif des « four fab » à la spiritualité orientale. Le mouvement de la Méditation transcendantale est par ailleurs dans le collimateur du Centre d’information et de prévention sur les psychothérapies abusives et déviantes, qui met en garde contre le risque de déviance sectaire de certains gourous.
Relaxation
Le terme relaxation est un mot générique, qui englobe de très nombreuses techniques, dont la méditation et la sophrologie, étudiées dans cet article. Le but de toutes ces pratiques est d’apporter une détente physique et psychique permettant d’accéder, du moins momentanément, à un certain état de bien-être. Elles permettent la fameuse « gestion du stress », et ont toute leur place dans la prise en charge des maladies dites psychosomatiques. Dans ce vaste catalogue, on peut citer l’hypnose et l’autohypnose, les massages relaxants, la méditation, la réflexologie, le shiatsu, la sophrologie, le training autogène, le yoga… On remarque la part importante des pratiques importées d’Asie. On peut aussi faire une différence entre les techniques qui nécessitent la présence du thérapeute (ce terme étant employé par défaut pour qualifier l’officiant de la méthode), et celles qui se suffisent à elle-même, comme l’autohypnose ou la méditation, à condition d’avoir atteint un certain niveau d’expertise.
Relaxation psychothérapique et training autogène
La relaxation psychothérapique, ou training autogène progressif, a été mise au point en 1982 par le psychiatre et psychanalyste Yves Ranty. Rappelons que training signifie entraînement. Elle comporte une phase de relaxation, purement corporelle, suivie d’un temps de parole avec le thérapeute. Comme son nom l’indique, elle est dérivée d’une méthode plus ancienne, le training autogène de Schultz, médecin allemand mort en 1970, qui concevait sa méthode comme un entraînement à l’autohypnose. Ces deux techniques sont largement employées par les psychologues et les psychiatres, mais aussi par les psychomotriciens et les kinésithérapeutes.
Sophrologie
Le terme sophrologie a été créé en 1960 par Alfonso Caycedo (1932 – 2017), psychiatre espagnol d’origine colombienne, à partir de trois mots grecs (sôs, harmonieux ; phren, l’esprit ; logos, l’étude). La sophrologie se veut donc « l’étude de l’harmonisation de la conscience », ce qui reste assez ésotérique. Au départ, la sophrologie désignait les techniques d’hypnose utilisées par les psychiatres hospitaliers. À partir de 1967, la méthode s’est enrichie avec l’apport d’autres techniques, dont la méditation, le training autogène ou encore le yoga. La sophrologie utilise des techniques de « relaxation dynamique », et se tient au carrefour de la médecine occidentale et des pratiques spirituelles asiatiques.
Développement personnel
Le développement personnel est un fourre-tout hétéroclite de courants de pensés et de méthodes dont les objectifs sont, en gros, l’amélioration de la connaissance de soi, dans le droit fil du fameux « connais-toi toi-même » (Gnôthi seauton) inscrit au fronton du temple de Delphes, et popularisé par Socrate via son disciple et porte-parole Platon. Une meilleure connaissance de soi est censée apporter toutes sortes de bienfaits physiques et psychiques. Le développement personnel englobe de nombreuses disciplines : la psychologie, la philosophie, la diététique (notamment l’orthorexie et le jeûne), le coaching, le sport (en particulier le fitness et la remise en forme), le New Age, l’ésotérisme, etc. Toutes les techniques que nous venons de voir appartiennent au développement personnel qui, n’ayant aucune définition précise, n’est pas à l’abri de pratiques douteuses relevant du charlatanisme, de l’escroquerie, de la manipulation mentale, et même parfois de la dérive sectaire.
Signalons que le philosophe Roger-Pol Droit s’est insurgé, dans un livre intitulé La philosophie ne fait pas le bonheur… et c’est tant mieux, paru en 2015, contre ce qu’il qualifie de dérive des « prêtres de la philo-bonheur », qui présenteraient à leurs lecteurs, selon lui, le bonheur comme but ultime de la philosophie. Et il rappelle que notre vision du bonheur n’a rien à voir avec celle des philosophes de l’Antiquité grecque, qui connaissent actuellement un net regain de popularité.
Deux notions communes : « ici et maintenant » et « lâcher-prise »
Les techniques utilisées dans le développement personnel usent et abusent, à la manière d’un mantra, de deux concepts phares : l’ici et maintenant et le lâcher-prise. De quoi s’agit-il exactement ?
« Ici et maintenant » est la traduction de l’expression latine hic et nunc, attribuée au poète latin Horace, disciple d’Épicure, popularisé par le fameux carpe diem (cueille l’instant présent). Hic et nunc peut aussi être traduit par « sur le champ », ou « immédiatement », mais c’est « ici et maintenant » qui est devenu la signification principale de cette expression latine, quasiment sa traduction officielle dans le domaine du développement personnel. Il s’agit d’être ancré dans la réalité présente, en pleine conscience de l’instant présent, sans jugement négatif, sans pensée parasite. L’état de conscience dans lequel l’attention est concentrée exclusivement sur l’instant présent, qui caractérise l’ici et maintenant, est appelé « up time » en anglais. Une autre interprétation est possible : ici signifierait « dans l’espace », et maintenant « dans le temps ».
Le fameux « lâcher prise », ou plutôt « lâcher-prise », tellement à la mode, ne consiste pas uniquement à « être calme » ou à « rester zen ». Il ne s’agit pas non plus de laxisme ou de passivité, bien au contraire. Lâcher prise, c’est faire l’effort de renoncer à contrôler ce qui ne peut pas l’être, se défaire du poids des certitudes et des convictions. C’est quelque chose de particulièrement difficile à obtenir pour les individus, et ils sont très nombreux, qui cherchent, plus ou moins consciemment, à tout contrôler de leur vie (et parfois de celle des autres), ou pour ceux qui, intellectualisant à l’excès, ne sont pas assez à l’écoute de leur corps. En prêtant attention à sa respiration, à ses sensations corporelles, aux bruits environnants, il est possible de sortir peu à peu des pensées souvent négatives qui envahissent l’esprit. L’abandon est un état de relâchement qui ne peut être atteint que dans l’instant présent, ce fameux « ici et maintenant ».
Article publié le 26 novembre 2018