Voici le portrait rapide d’une vingtaine de grands noms de l’histoire de la médecine, dont certains, comme Louis Pasteur, n’étaient pas médecins.
Parmi cette vingtaine de personnalités (vingt-quatre exactement), seul le premier, Esculape, est un personnage mythologique. Cette liste fait la part belle aux médecins français ; un rédacteur anglo-saxon en aurait certainement proposé une autre, et un auteur chinois ou indien n’aurait probablement retenu aucun de ces noms.
Enfin, signalons que certains médecins sont plus connus pour d’autres raisons que leurs talents dans l’art médical, notamment comme littérateurs : François Rabelais (Gargantua et Pantagruel), Arthur Conan Doyle (Sherlock Holmes) ou encore Louis Ferdinand Céline (Dr Destouches dans son métier de médecin).
Esculape
Esculape, ou Asclépios pour les grecs, ou encore Imhotep pour les égyptiens, est le dieu de la médecine. Il est un des fils d’Apollon (qui porte le même nom dans les mythologies grecque et latine), et meurt foudroyé par Jupiter (Zeus chez les grecs) pour avoir eu l’orgueil de ressusciter les morts.
Son attribut principal est le bâton d’Esculape (d’Asclépios), autour duquel s’enroule le serpent de la connaissance, et qui est devenu, sous le nom de caducée, l’emblème de la profession médicale.
Il est l’ancêtre légendaire de la dynastie médicale des Asclépiades, dont le représentant le plus illustre est le très fameux Hippocrate.
Hippocrate (ca 460 – ca 370)
Hippocrate de Cos (il s’agit d’une île grecque, actuellement appelée Kos, et plus connue de nos jours pour les migrants qui y trouvent refuge), est également connu sous le nom d’Hippocrate le Grand. C’est un médecin grec du « siècle de Périclès » (la période la plus brillante de l’histoire de la Grèce antique). Il est considéré comme le « père de la médecine ».
Bien qu’il fût également philosophe, c’est lui qui a constitué la médecine comme une entité distincte des autres disciplines de la connaissance.
Les médecins qui viennent de soutenir avec succès leur thèse d’exercice sont tenus, encore de nos jours, de prêter le serment d’Hippocrate , pierre angulaire de la déontologie médicale. Ce serment fait référence, entre autres, à Esculape.
Un symptôme porte son nom, l’hippocratisme digital.
Claude Galien (129 – ca 216)
Claude Galien est un médecin de l’Antiquité grecque et latine. Né à Pergame en Asie mineure, il exerça la médecine à Rome où il soigna plusieurs empereurs (on évitera d'ailleurs de le confondre avec l'empereur Gallien).
Il a construit un système explicatif global de la médecine en s’appuyant sur deux piliers, la raison et l’observation, notamment anatomique. Cette conception a dominé la médecine européenne jusqu’au XVIème siècle, en fait jusqu’à ce que des médecins comme André Vésale remettent en question ses principes théoriques.
Galien est à l’origine de la théorie des humeurs : les maladies seraient provoquées par un déséquilibre entre les quatre humeurs fondamentales : le sang (tempérament sanguin), la lymphe (tempérament flegmatique), la bile jaune (tempérament bilieux) et la bile noire (tempérament atrabilaire). Il reste quelque chose de cette théorie dans des expressions populaires comme « se faire de la bile », ou « être bilieux », pour exprimer l’anxiété ou le pessimisme, ou encore « un individu sanguin » ou un « coup de sang » pour qualifier un individu colérique ou un accès de colère.
Il est l’auteur d’une œuvre immense, qui a refait surface à la Renaissance grâce à sa conservation par la culture arabe, tout comme pour la philosophie grecque (sans les Arabes, nous ne saurions rien d’Aristote).
Il a donné son nom à une branche de la pharmacologie, la galénique
Avicenne (980 – 1037)
Avicenne (Ibn Sina) est l’un des plus grands penseurs de l’âge d’or islamique, période qui va du milieu du VIIIème siècle au milieu du XIIIème siècle. Contrairement à ce que l’on croit, Avicenne n’était pas arabe, mais persan. Il est né près de Boukhara, dans l’actuel Ouzbékistan ; il est mort en Iran.
Il n’était pas simplement médecin, mais également philosophe, écrivain, scientifique, bref, un esprit universel. Ses disciples le considéraient comme le plus grand des médecins, et le prince des savants.
Avicenne a donné son nom à plusieurs hôpitaux français, dont celui de Bobigny, autrefois appelé hôpital franco-musulman.
Avicenne est le plus connu des grands savants et médecins arabophones, mais il en existe bien d’autres du même acabit, comme Averroès (Ibn Rochd) ou Moïse Maïmonide, juif né en terre d’Islam, à Cordoue, auteur du fameux Guide des égarés, écrit en arabe, alors que la plupart de son œuvre est écrite en hébreu. Ces deux penseurs ont essayé de concilier la recherche de la vérité scientifique et l’existence de Dieu.
Paracelse (1493 – 1541)
Paracelse, ou Paracelsius, est un alchimiste, astrologue et médecin suisse d’expression allemande, qui vécut pendant la Renaissance. Il est beaucoup plus célèbre dans les pays germanophones que chez nous.
Il a réfuté, dans sa pratique médicale, les théories d’Hippocrate, de Galien et d’Avicenne, les phares de la médecine occidentale de l’époque. Il préconisait l’usage de cinq méthodes possibles de médecine, dont les médicaments, mais aussi la foi, époque oblige.
Il fut un pionnier de l’utilisation médicale des produits chimiques et des minéraux. On le considère également comme le précurseur de la toxicologie.
Ambroise Paré (1509 ou 1510 – 1590)
Ambroise Paré est un chirurgien et anatomiste français, peut-être le plus célèbre d’entre tous, au point qu’il a donné son nom à de très nombreux établissements de soins, tant publics que privés. Il est souvent considéré comme le père de la chirurgie moderne, pour avoir remplacé la cautérisation des plaies par armes à feu par la ligature des vaisseaux. C’est en effet sur les champs de bataille qu’il a fait son apprentissage de la chirurgie. Malheureusement, les guerres ont toujours étaient un facteur de progrès considérables pour la chirurgie (comme pour la chirurgie réparatrice avec les « gueules cassées » de la Guerre de 14 – 18).
On rappelle que jusque-là, le métier de chirurgien n’existait pas en tant que tel : on était chirurgien-barbier, sous le patronage de la confrérie de Saint Côme (ce dernier est, avec Saint Damien, le saint patron des chirurgiens). A l’époque d’Ambroise Paré a été créé un collège des chirurgiens, mais sous la dépendance des médecins.
Le collège de Saint Côme décide d’adouber Ambroise Paré en son sein, malgré sa méconnaissance du latin, grâce à l’appui du roi. Il deviendra en 1562 premier chirurgien du roi Charles IX, puis de Henri III.
Parmi ses nombreux ouvrages, on peut citer Anatomie universelle du corps humain.
Sa citation la plus célèbre montre à la fois sa modestie supposée, et le fait qu’à cette époque, la médecine n’était pas encore affranchie de la religion : « Je le pansay, Dieu le guarist » (je le pansai, Dieu le guérit).
Il aurait également répondu à son roi, qui lui demandait s’il le soignerait mieux qu’un pauvre : « Non Sire, c’est impossible parce que je soigne les pauvres comme des rois » !
André Vésale (1514 – 1564)
André Vésale (Andreas Vesalius en latin, André Wytinck de Wesel en français) est un médecin et anatomiste brabançon. Le Brabant est actuellement une province belge (on rappelle que la Brabançonne est l’hymne national de la Belgique). A la Renaissance, la Belgique n’existait pas et le Brabant était une province des Pays Bas.
Beaucoup de spécialistes considèrent André Vésale comme le plus grand anatomiste de la Renaissance, voire de l’histoire de la médecine occidentale. C’était également un grand humaniste.
Son œuvre écrite est très abondante. Parmi celle-ci, son livre le plus célèbre s’appelle De humani corporis fabrica (Sur le fonctionnement du corps humain), appelé parfois tout simplement La fabrica. C’est un monumental ouvrage d’anatomie descriptive, réalisé grâce à des dissections, art dans lequel il était passé maître. L’ouvrage est dédié à Charles Quint.
A vingt ans, Vésale maîtrise le latin, le grec et l’arabe, ces trois langues étant le véhicule des connaissances médicales de l’époque. Ses travaux mirent fin au dogme du galénisme (la doctrine inspirée par Galien), qui empêchait toute évolution scientifique dans la Chrétienté et en terre d’Islam.
A la fin de sa carrière, qu’il passera en partie en Italie, il sera chirurgien de l’empereur Charles Quint et du roi d’Espagne Philippe II. Il meurt du typhus à la suite d’un naufrage, retour d’un pèlerinage en Terre Sainte.
William Harvey (1578 – 1657)
William Harvey est un médecin anglais dont le plus haut fait d’armes est d’avoir décrit les lois de la circulation sanguine. Il est diplômé de Cambridge, mais a fini sa carrière à Oxford, après avoir exercé la médecine à Londres. Comme A. Paré et A. Vésale, il sera médecin de rois, en l’occurrence Jacques Ier et Charles Ier d’Angleterre.
Bien que cela soit contesté, c’est à lui qu’est attribuée la découverte des lois de la circulation sanguine, qu’il fit grâce à la méthode dite quantitative, qu’il est le premier à utiliser. Mais manque à son schéma la description des capillaires, qui sera le fait d’un médecin italien, Marcello Malpighi.
Marcello Malpighi (1628 – 1694)
Malpighi est un médecin italien, considéré comme le père de l’histologie, c’est-à-dire de l’étude des tissus au microscope. Il est difficile de savoir qui est vraiment l’inventeur de cet outil devenu indispensable à la médecine : Zacharias Janssen, Galilée, Christiaan Huyghens, Robert Hooke, ou encore Antony van Leeuwenhoek. Il semble que ce soit ce dernier qui ait attiré l’attention des botanistes sur l’intérêt du microscope dans leur discipline.
Il complète la théorie de William Harvey sur la circulation sanguine, en décrivant les capillaires en 1661, dans son ouvrage Observations anatomiques du poumon, un des livres fondateurs de la médecine moderne.
Son nom reste attaché à plusieurs structures : le glomérule rénal porte aussi le nom de corpuscule de Malpighi, ainsi qu’une variété d’épithélium, dit malpighien.
En embryologie, il est l’auteur de la théorie de la préformation, selon laquelle tout l’être vivant est contenu dans l’ovule.
Marcello Malpighi fut aussi un grand botaniste.
Edward Jenner (1749 – 1823)
Edward Jenner est un médecin de campagne anglais connu pour être le père de la vaccination. Il était frappé de vérifier la véracité d’une croyance populaire bien établie dans sa région d’exercice, selon laquelle les filles de ferme ne contractaient jamais la variole, maladie très préoccupante à l’époque par sa fréquence et sa gravité. Cependant, elles présentaient souvent des pustules, dues à une maladie transmise par la vache, appelée vaccine (la vache, en latin, se dit vacca), ou cow pox en anglais.
En 1796, Jenner osa prélever du pus des pustules d’une vachère nommée Sarah, et l’inocula par scarification cutanée à un jeune garçon nommé James Phipps. Après s’être convaincu que le garçon avait bien contracté le cow pox, il n’hésita pas à lui inoculer le contenu d’une vésicule d’un patient décédé de la variole, et démontra ainsi que le gamin n’était plus contaminable par la variole. Il était « vacciné ». Heureusement que le principe de précaution n’était pas encore passé par là !
Napoléon se fit raconter cette histoire par une sommité médicale française, le Dr Guillotin, qui devait passer tristement à la postérité comme concepteur de la guillotine. Guillotin était partisan d’une vaccination systématique de la population, pour éradiquer le fléau. Il avait même obtenu pour cela le soutien du pape, et ce malgré la réticence d’une partie du clergé français. Sur les conseils de Guillotin, Napoléon avait fondé en 1804 la Société pour l’extinction de la petite vérole par la propagation de la vaccine.
En fait, Napoléon avait le projet d’envahir l’Angleterre, mais il avait appris que ce pays était touché par une terrible épidémie de petite vérole, le small pox. Il prit donc la décision de faire vacciner sa Grande Armée. Mais les résultats ne furent pas à la hauteur de ses espérances, puisque, à son abdication, environ 6000 hommes seulement sur un effectif de 50000 avaient été vaccinés.
Mais, fidèle à ses convictions, il avait fait vacciner son propre fils, le roi de Rome. Il caressait d’ailleurs le projet de rendre la vaccination obligatoire en France, mais les circonstances historiques ne lui en ont pas laissé le temps. Ce serait pour plus tard.
L’OMS considère que la variole est éradiquée de la surface du globe depuis 1980.
James Parkinson (1755 – 1824)
James Parkinson, né et mort à Londres, avait beaucoup de cordes à son arc : il était médecin, mais également géologue et paléontologue, ainsi que militant politique d’opposition, chaud partisan de la Révolution française, et favorable à des réformes sociales radicales, ce qui lui valut quelques soucis avec le pouvoir en place.
En médecine, son nom reste attaché à une maladie neurodégénérative fréquente et invalidante, qu’il a décrit comme « paralysie agitante » (paralysis agitans). C’est le célèbre neurologue français Jean-Martin Charcot qui proposa de donner le nom de Parkinson à cette maladie.
Xavier Bichat (1771 – 1802)
Xavier Bichat est un médecin et anatomo-pathologiste français, spécialité qu’il a contribué à faire avancer par ses nombreux travaux, qu’il mena sur une très courte période puisqu’il est mort de la typhoïde à l’âge de trente ans. Il est l’auteur de quatre ouvrages fondamentaux, dont Recherches physiologiques sur la vie et la mort, dans lequel on trouve cette célèbre définition : « La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort ».
Son nom reste attaché à au moins deux structures anatomiques, la fente cérébrale de Bichat, et les boules de Bichat, situées au niveau des joues, et particulièrement développées chez le nourrisson.
Son nom fait partie d’une liste de soixante-douze scientifiques honorés d’une inscription sur la Tour Effel.
Dominique-Jean Larrey (1776 – 1842)
Dominique-Jean Larrey est un médecin et chirurgien militaire français, considéré comme un des pères de la médecine d’urgence.
Chirurgien en chef de la Grande Armée, il a suivi Napoléon dans toutes ses campagnes. En remerciement, Napoléon le fit baron d’Empire en 1809, lors de la bataille de Wagram.
Sa conception du secours le plus rapide possible aux blessés directement sur le champ de bataille, grâce à des ambulances chirurgicales mobiles, préfigure notre moderne SAMU. Il a sauvé de la mort atroce par gangrène pas mal de soldats blessés en les amputant très rapidement (on dit qu’il ne lui fallait qu’une minute pour amputer une jambe, ce qui était une nécessité humanitaire en l’absence d’anesthésie).
Plusieurs hôpitaux militaires portent son nom, qui figure sur une des colonnes du pilier sud de l’Arc de Triomphe de l’Etoile.
René Laennec (1781 – 1826)
René Laennec (ou Laënnec) est un médecin français, créateur de l’auscultation grâce à l’invention du stéthoscope. C’est ici l’occasion idéale de signaler que, contrairement à un mésusage très répandu, ausculter un patient ne signifie pas qu’on l’examine, mais que l’on écoute les bruits émis par ses organes (les poumons, le cœur et les artères, l’intestin).
Laennec s’est intéressé particulièrement à l’auscultation dite médiate des poumons, médiate car elle se fait grâce à la médiation du stéthoscope. Auparavant, l’auscultation était qualifiée d’immédiate, l’oreille du médecin étant collée sur la poitrine du patient (avec cependant l’interposition d’un mouchoir pour des raisons d’hygiène).
C’est Laennec qui a donné à son invention le nom de stéthoscope (observer la poitrine, stethos en grec). Le stéthoscope originel ne permettait d’ausculter qu’avec une seule oreille
Cette découverte a fait faire un bond prodigieux à la pneumologie, en la dotant d’une sémiologie toujours d’actualité, la classification des bruits d’auscultation (les râles crépitants, par exemple).
Le stéthoscope que les médecins utilisent de nos jours, avec un embout pour chaque oreille, a été inventé par l’américain Cammann en 1852.
Mais Laennec ne s’est pas contenté de ses découvertes en pneumologie. Il s’est intéressé à la péritonite, au mélanome et à ses métastases pulmonaires, à la cirrhose, dite de Laennec. Il a inventé les termes de mélanose et de cirrhose, qui fait référence à la couleur fauve (kirrhos en grec) des nodules de régénération hépatique.
Mais c’est probablement l’introduction d’une rigueur scientifique dans l’observation objective des symptômes qui est son principal apport à l’art médical, rigueur qui préfigure la médecine factuelle de nos jours, l’evidence based medicine, ou médecine fondée sur la preuve.
Claude Bernard (1813 – 1878)
Claude Bernard est un médecin français, mondialement connu pour ses travaux de physiologie : découverte du rôle de la sécrétion pancréatique dans la digestion des graisses, fonction glycogénique du foie, entre autres découvertes majeures.
Il est à l’origine d’un des concepts essentiels de la physiologie, le milieu intérieur, et sa constance, l’homéostasie.
Il est considéré comme l’un des fondateurs de la démarche expérimentale dite hypothético-déductive, pilier de la médecine expérimentale. Ses principaux ouvrages s’intitulent Introduction à l’étude de la médecine expérimentale et Principes de médecine expérimentale.
Un syndrome porte son nom, le syndrome de Claude Bernard-Horner (ptose de la paupière, myosis et énophtalmie), ainsi que de très nombreux bâtiments publics, en complément des honneurs dont il fut couvert de son vivant.
Louis Pasteur (1822 – 1895)
Contrairement aux autres personnalités citées dans cet article, Louis Pasteur n’était pas médecin, mais chimiste et physicien. Cependant, sa contribution immense à la microbiologie naissante, et sa découverte du vaccin contre la rage, en ont fait un des plus grands noms de la médecine occidentale. C’est d’ailleurs pour traiter la rage que l’Académie des Sciences proposa la création d’un établissement qui deviendra l’Institut Pasteur, fondé en 1888, et de nos jours célèbre dans le monde entier pour ses contributions à la microbiologie.
Nombre de ses travaux portent sur la chimie, comme la découverte de la dyssymétrie moléculaire (formes lévogyre et dextrogyre de certaines molécules), et l’étude des fermentations, notamment lactique.
Une polémique célèbre sur la génération spontanée l’opposa à l’un des plus fervents partisans de cette théorie, Félix Archimède Pouget, soutenu dans son combat par un jeune journaliste, médecin de surcroît, qui se fera connaître plus tard pour de toutes autres raisons, Georges Clémenceau. C’est évidemment Pasteur qui avait raison : il n’y a pas de génération spontanée, et les microbes ne naissent pas spontanément ex nihilo.
Pasteur est, avec le chirurgien anglais Lister et l’obstétricien hongrois Semmelweis, l’un des pionniers de l’asepsie et de l’antisepsie.
Pasteur a donné son nom à un procédé de conservation des aliments, la pasteurisation (ou débactérisation thermocontrôlée). Il a également donné son nom à un genre bactérien, Pasteurella, responsable de maladies appelées pasteurelloses.
Mais la place nous manque pour développer la contribution de Pasteur dans de nombreux domaines, comme celui du vin. On sait que Pasteur estimait que la consommation raisonnable de vin était bénéfique pour la santé, affirmation qui n’a pas échappé aux Français, grands consommateurs de vin.
Jean-Martin Charcot (1825 – 1893)
Jean-Martin Charcot est le plus célèbre neurologue français. Avec Guillaume Duchenne, il est considéré comme le père de la neurologie scientifique moderne. Il était également anatomo-pathologiste.
Son nom reste attaché, dans le monde médical francophone, à la sclérose latérale amyotrophique (maladie de Charcot). Une autre maladie porte son nom, la maladie de Charcot-Marie-Tooth, neuropapthie de nautre génétique.
Il est surtout connu pour ses travaux sur l’hystérie et sur l’hypnose, qui influencèrent Pierre Janet, figure majeure de la psychologie française, et le jeune Sigmund Freud, futur fondateur de la psychanalyse.
Il enseignait à la Salpêtrière, et fut le fondateur de l’École de la Salpêtrière, dont le rayonnement était universel. C’est en effet pour lui que fut créée la première chaire au monde des maladies du système nerveux. Il eut avec lui des collaborateurs appelés à devenir célèbres eux aussi, comme Paul Richet, Joseph Babinski (celui du signe éponyme), Georges Gilles de la Tourette (celui de la maladie), et bien d’autres, ainsi que des médecins allemands, russes ou américains. Sigmund Freud y fut boursier à titre étranger pendant quelques mois, de fin 1885 à début 1886.
Grâce à la fortune de sa femme, il vivait sur un grand pied dans un luxueux hôtel particulier du boulevard Saint Germain, l’hôtel de Varangeville. Son épouse et lui-même y recevaient en particulier la fine fleur des lettres françaises.
Son fils, Jean-Baptiste Charcot, était aussi médecin, mais est plus célèbre comme explorateur polaire, à bord du Pourquoi-Pas?, son célèbre navire océanographique.
Robert Koch (1843 – 1910)
Robert Koch est un médecin allemand, et l’un des pères fondateurs de la bactériologie. Il sera le premier à réussir la culture du bacille du charbon (mais ce n’est pas lui qui l’a découvert). En 1882, il présente dans une communication orale sa découverte du bacille de la tuberculose, qui va laisser sans voix ses auditeurs. Son nom sera donné à ce germe, qui devient le célèbre bacille de Koch (prononcez « coq ») ; son nom scientifique est Mycobacterium tuberculosis, ce qui est tout de même un peu plus compliqué à énoncer et à retenir.
L’année suivante (1883), il isole le bacille du choléra, Vibrio cholerae (mais cette découverte avait déjà été publiée par Pacini). Il s’intéresse aussi aux maladies parasitaires tropicales, comme la malaria (le paludisme dans les pays francophones).
Robert Koch connaîtra cependant des échecs : il s’est trompé en affirmant que la tuberculose humaine et la tuberculose bovine étaient des maladies distinctes, alors qu’on a prouvé, mais seulement après la Seconde Guerre mondiale, que la tuberculose bovine est transmissible à l’Homme. De plus, il a cru, à tort, que l’on pouvait traiter la tuberculose par la tuberculine.
Sigmund Freud (1856 – 1939)
Sigmund Freud (de son vrai nom Sigismund Schlomo Freud) est un neurologue autrichien, mondialement connu pour être le père, l’inventeur, de la psychanalyse (qu’il appelait à ses débuts, en 1896, la psycho-analyse).
Dans sa jeunesse, il sera influencé, lors de son séjour parisien dans le service des maladies nerveuses de Charcot, par les théories sur l’hypnose de l’Ecole de la Salpêtrière.
Il va réunir autour de lui, à Vienne, un noyau de psychothérapeutes qui vont élaborer les fondements de la psychanalyse naissante, à partir de conceptions nouvelles sur l’inconscient, l’analyse des rêves et des névroses. S’ensuivront un certain nombre de brouilles définitives avec certains de ses disciples qui fonderont des écoles dissidentes, comme Carl Gustav Jung ou Alfred Adler.
Freud est une personnalité très controversée. Ses adeptes, ses thuriféraires, pensent sincèrement que la psychanalyse est une découverte médicale majeure, indiscutable, et surtout une science exacte. Ses détracteurs, notamment le dernier en date, le philosophe français Michel Onfray, le voient en gourou d’une secte pseudo-scientifique, et avancent que Freud est parti de son expérience personnelle pour en déduire des lois universelles du fonctionnement de la psyché, dans laquelle la sexualité occupe une place envahissante. La vérité est probablement entre ces deux positions extrêmes.
Bref, certains adeptes seront en analyse toute leur vie (on pense à Woody Allen), pendant que d’autres diront qu’on n’a jamais assisté à une guérison par la psychanalyse. Nous ne prendrons pas part à ce débat, dans lequel il est difficile de trouver des contradicteurs sereins et de bonne foi.
La fin de sa vie relève quelque peu du roman d’aventures : à l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933, ses livres sont brûlés en place publique en Allemagne dans des autodafés de sinistre mémoire. Lors de l’Anschluss de 1938 (annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie), il n’accepte de quitter Vienne, où sa vie est en danger en tant que juif, qu’après l’arrestation de sa fille Anna par la Gestapo. Il fallut l’intervention d’une de ses disciples, Marie Bonaparte, qui paya une rançon, et l’intercession de l’ambassadeur américain William Bullitt, pour que sa famille et lui puissent s’exiler à Londres, où il mourra l’année suivante d’un cancer de la mâchoire provoqué par l’usage répété du cigare.
Mais Freud est aussi considéré comme un philosophe, et plus précisément un philosophe « du soupçon », au même titre que Nitztsche, qui porta le soupçon sur les croyances humaines (« la mort de Dieu »), et Marx (soupçon social). Le soupçon freudien porte sur la conscience et sa place au sein du sujet (le ça, le moi et le surmoi, soit la seconde topique, la première topique désignant la trilogie inconscient, préconscient et conscient).
Alois Alzheimer (1864 – 1915)
Alois Alzheimer est célèbre dans le monde entier parce que ses collègues ont donné son nom à la maladie qu’il a décrite. Cette forme de démence est devenue un véritable fléau des sociétés modernes, et tout le monde connaît la maladie d’Alzheimer, ou un sujet atteint de cette affection.
Ce médecin allemand était neurologue, neuro-pathologiste et psychiatre. Il a décrit les lésions cérébrales fibrillaires caractéristiques de la maladie en faisant l'autopsie du cerveau d'une patiente d’une cinquantaine d’années atteinte de démence, et qu’il a suivie pendant les cinq années d’évolution de sa maladie.
D’ailleurs, initialement, parmi les démences, on décrivait la démence sénile, et la maladie d’Alzheimer était considérée comme une démence spécifique du sujet jeune, une démence précoce. On sait maintenant que ce n’est pas le cas, et que, si la maladie d’Alzheimer peut commencer assez tôt dans la vie, la plupart des cas d’Alzheimer concerne des personnes âgées.
Une ombre au portrait d’Alois Alzheimer : il fut membre de la société d’hygiène raciale, crée en 1904 par Alfred Ploetz, dont les thèses furent largement exploitées par les nazis, dans le sens nauséabond que l’on connaît.
Albert Schweitzer (1875 – 1965)
Albert Schweitzer est un des rares esprits universels des temps modernes, tels qu’on les connaissait à la Renaissance, et, à ce titre, une figure marquante du XXème siècle.
L’action qui l’a amené à fonder un hôpital à Lambaréné, au Gabon, où il est mort, fait de lui le précurseur de la médecine humanitaire, l’ancêtre des french doctors. S’il fut distingué par l’Académie Nobel en 1952, ce n’est pas par le prix de médecine, mais par le prix Nobel de la Paix, tout comme Médecins sans frontière en 1999.
Cet alsacien, dépositaire d’une double culture française et allemande, n’était pas seulement médecin ; il était aussi pasteur et théologien protestant, philosophe et musicologue, spécialiste de la musique d’orgue de Jean-Sébastien Bach.
On le considère en général comme un des précurseurs non seulement de l’action humanitaire, mais aussi de l’écologie, de l’antispécisme, ou encore du mouvement antinucléaire. Toute son action tourne autour de la notion de respect de la vie. Bref, une belle personne !
Alexander Fleming (1881 – 1955)
Alexander Fleming est un médecin écossais, également biologiste et pharmacologue, dont le principal fait d’armes est d’avoir découvert la pénicilline, ouvrant l’ère de l’antibiothérapie, qui est une des grandes révolutions médicales du XXème siècle. Il a également découvert, en 1922, le lysozyme, enzyme que l’on trouve dans un certain nombre de sécrétions corporelles, comme les larmes, la salive, le mucus nasal, ou encore le lait maternel, et que l’on peut considérer comme un antibiotique naturel.
C’est en travaillant sur des souches de staphylocoques qu’il découvrit, par hasard (par sérendipité), en 1928, la pénicilline. En effet, à son retour de vacances, il constata que nombre de ses cultures avaient été contaminées par un champignon, Penicillium notatum, et que ce champignon avait empêché le développement des germes mis en culture. Il étudia le phénomène sur d’autres bactéries, et constata ce même effet sur plusieurs cocci Gram positif. Il en déduisit la présence dans le champignon d’une substance capable de bloquer le développement bactérien, et qui n’était pas un antiseptique Il appela cette substance pénicilline, par analogie avec le nom du champignon.
Malheureusement, Fleming n’expérimenta sa découverte que sur des animaux sains, car il ne pensait pas que la pénicilline serait assez puissante pour traiter des infections. Il commit donc l’erreur de ne pas tester la substance sur des animaux infectés, et sa découverte n’eut dans l’immédiat aucun impact.
Ce n’est que dix ans plus tard que deux chercheurs travaillant en Grande Bretagne, Howard Florey et Ernst Chain, firent ce que Fleming n’avait pas tenté, à savoir tester la pénicilline sur des animaux infectés par le streptocoque. Ce fut un succès total, qui permis l’essor de l’antibiothérapie.
Mais il fallut l’entrée en guerre des USA pour que l’industrie pharmaceutique américaine commence à produire des quantités de pénicilline suffisantes pour traiter les blessés de guerre américains.
En 1945, Fleming, Florey et Chain furent honorés par l’attribution du prix Nobel.
Ce qui est beaucoup moins connu, c’est qu’un médecin militaire français, spécialiste de la microbiologie, Ernest Duchesne (1874 – 1912), avait fait la même découverte, mais de propos délibéré, sans intervention aucune du hasard, à la fin du XIXème siècle. La publication de ses travaux fut encensée, mais il tomba rapidement malade et dut interrompre ses recherches, que ni son maître Gabriel Roux, ni ses distingués confrères n’eurent l’idée de poursuivre. Et le malheureux Duchesne (ou Duchêne) tomba dans un oubli aussi complet qu’immérité.
Henri Mondor (1885 – 1962)
Henri Mondor est un chirurgien-chercheur français, connu pour la qualité de son enseignement : pendant des générations, tous les chirurgiens en formation se devaient d’avoir lu son ouvrage essentiel, Diagnostics urgents : Abdomen (que je garde dans ma bibliothèque personnelle, même s’il est obsolète).
Plusieurs symptômes et une maladie portent son nom.
C’était aussi un fin lettré, et le meilleur spécialiste de l’œuvre du poète Stéphane Mallarmé. C’est à ce titre que ce chirurgien-poète fut élu à l’Académie française, alors que c’est à ses qualités de chirurgien et de chercheur qu’il doit d’avoir été membre des Académies de chirurgie, de médecine et des sciences. Son nom a été donné à deux hôpitaux, celui d'Aurillac car il était natif de Saint-Cernin dans le Cantal, et le CHU de Créteil, inauguré en 1969, et qui m’est cher car c’est là que j’ai effectué mon clinicat.
Sa place au sein de cet aréopage de médecins d’élite est un peu le choix du cœur.
Christiaan Barnard (1922 – 2001)
Seul médecin de cette liste à être né au XXème siècle, Christiaan Barnard est mondialement connu pour avoir réussi la première transplantation cardiaque en 1967. Des transplantations rénales avaient déjà été réalisées avec succès, la première mondiale en France en 1952 par l’équipe du Pr Jean Hamburger à l’hôpital Necker, et par Barnard lui-même en 1959, mais, compte tenu de la forte valeur symbolique du cœur, siège supposé de la vie, c’est cette première greffe cardiaque qui a marqué les esprits, d’autant qu’elle ne fut pas réalisée en Europe ou aux Etats-Unis, mais en Afrique du Sud, pays dont personne ne soupçonnait un si haut niveau de technologie chirurgicale. En 1968, c’est le chirurgien français Christian Cabrol qui est le premier à réaliser une greffe de cœur en Europe.
Christiaan Barnard avait appris la chirurgie cardiaque auprès du célèbre chirurgien américain Norman Shumway, pionnier de la transplantation cardiaque. Cependant, la législation américaine ne reconnaissant pas la notion de mort cérébrale, il était impossible à ces précurseurs d’en réaliser chez des humains, alors qu’ils s’étaient rôdés sur des animaux. La législation sud-africaine étant plus souple, Christiaan Barnard a pu griller la priorité à son maître américain.
On rappelle la différence terminologique subtile entre greffe et transplantation : celle-ci est une greffe avec raccordement à la « tuyauterie » du patient (l’aorte et la veine cave pour le cœur, les vaisseaux rénaux et l’uretère pour le rein).
Conclusion
Comme on a pu le voir à travers cette bonne vingtaine de portraits, les progrès de la médecine occidentale, de l’Antiquité à nos jours, n’ont pas été linéaires. Il y eut des périodes fastes, et des périodes de sommeil, pour ne pas dire de recul.
Tout commence avec l’Antiquité gréco-romaine, se poursuit dans le monde arabo-musulman, à son apogée pendant le Moyen Âge, qui est une période de déclin scientifique en Occident. En effet, l’Eglise catholique condamnait la pratique de la dissection ; dans ces conditions, aucune avancée n’était possible en anatomie ou en physiologie.
Les progrès reprennent à la Renaissance, période très brillante, riche en grandes personnalités scientifiques, et qui voit également ressurgir la lecture des grands penseurs de l’Antiquité. Puis c’est à nouveau la stagnation pendant deux cents ans. Cette époque de repli peut être caractérisée, sur le plan médical, par ce qu’on a appelé, par dérision, les « médecins de Molière », tels les Diafoirus père et fils du Malade imaginaire, dont l’essentiel des connaissances se résume au latin « de cuisine », et l'arsenal thérapeutique à la saignée et au clystère.
Au XVIIIème siècle, la médecine profite des progrès de l’expérimentation, et, sous l’influence des Encyclopédistes, athées pour la plupart, sort du champ religieux qui était le sien jusque-là, pour entrer de plein pied dans l’âge scientifique dont elle ne sortira plus.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il est difficile de faire émerger de grandes figures, car la plupart des révolutions médicales ont eu lieu au XIXème siècle ou dans la première moitié du XXème.
Enfin, il faut signaler que des progrès essentiels en médecine ont été le résultat des travaux menés par des chercheurs qui n’étaient pas médecins : outre Pasteur, il faut citer le moine Gregor Mendel, qui a découvert les lois de l’hérédité, et le trio composé de James Watson, Francis Crick et Maurice Wilkins, qui ont découvert la structure de la double hélice d’ADN, support de l’hérédité.
C’est certainement de cette recherche fondamentale que viendront les prochains grands progrès médicaux. Mais quelle sera la révolution médicale du XXIème siècle ? La disparition du cancer ? La guérison des maladies dégératives ? L'éradication des maladies génétiques par la thérapie génique ? Nul ne peut le dire. Les transhumanistes pensent que ce sera l’immortalité du genre humain : terrifiante perspective !
Article publié le 28 mars 2016