Ces quatre mots ou expressions font partie du vocabulaire de la recherche clinique.
On le sait, la médecine n’est pas une science exacte, comme la physique ou la chimie. Ces disciplines « dures » avancent grâce à l’expérimentation, qui valide ou invalide les hypothèses de travail. Il n’en est pas de même pour la médecine.
Essai clinique, essai thérapeutique et recherche clinique
La biologie, qui représente la partie la plus scientifique de la médecine, procède aussi par expérimentation, en général à partir de cellules animales ou humaines, sous la houlette de chercheurs en biologie.
En revanche, on ne peut pas expérimenter à proprement parler sur des êtres humains. La médecine remplace donc les expériences scientifiques par des essais cliniques, qui sont à la base de ce que l’on appelle la recherche clinique.
Comme ces essais concernent la plupart du temps la thérapeutique, on dit indifféremment essai clinique ou essai thérapeutique.
La partie proprement scientifique est assurée par le volet statistique de ces essais. La recherche clinique est en général menée par des médecins.
Les études ainsi réalisées sont publiées dans les revues scientifiques, pour deux raisons essentielles : faire connaître les résultats d’une équipe à l’ensemble de la communauté médicale, et, (surtout ?), servir à la carrière du rédacteur cité en premier dans la liste des auteurs de l’article, surtout si l’étude paraît dans une revue anglo-saxonne de très haut niveau !
La définition d’un essai clinique donnée par le Comité international des rédacteurs de revues médicales (ouf !) est la suivante : « tout projet de recherche qui affecte de façon prospective des sujets humains à des groupes d’intervention ou de comparaison, afin d’étudier la relation de cause à effet entre un acte médical et l’évolution d’un état de santé ».
Gold standard
Les essais cliniques ont habituellement pour but de montrer la supériorité d’une nouvelle molécule ou d’une nouvelle technique sur celle qui était considérée jusqu’alors comme la meilleure, que l’on appelle le gold standard ; si le nouveau traitement s’avère plus efficace que l’ancien, c’est lui qui deviendra le nouveau gold standard.
Niveau de preuve
Selon la méthodologie employée pour mener à bien l’essai, les conclusions de l’étude auront plus ou moins de poids ; on dira que son niveau de preuve est plus ou moins élevé, ce niveau de preuve étant exprimé par des lettres, le niveau le plus élevé étant crédité, non pas du fameux triple A des agences de notation, mais tout simplement d’un A.
Pour qu’une étude clinique soit intéressante, il faut qu’elle pose une question précise, et qu’elle y réponde de façon précise ; cela peut sembler être l’évidence même, mais il suffit d’avoir fait un peu de bibliographie pour s’apercevoir que ce n’est pas toujours le cas. En effet, si la réponse obtenue n’est pas celle qui était attendue, les responsables de l’étude peuvent être tentés d’apporter une autre conclusion, positive cette fois-ci, pour éviter la frustration d’avoir travaillé pour rien.
Méthodologie des essais cliniques : place du hasard et de la randomisation
Pour arriver à un niveau de preuve élevé, il faut que l’essai remplisse un certain nombre de critères ; c’est ainsi qu’une étude prospective a plus de valeur qu’une étude rétrospective ; une étude multicentrique a plus de chance d’être d’un meilleur niveau qu’une étude émanant d’un seul centre, car le nombre de patients nécessaires pour arriver à la conclusion de l’étude sera plus vite obtenu.
Mais le critère essentiel pour s’assurer d’une étude de bon niveau, c’est qu’elle soit randomisée contrôlée. L’adjectif randomisé vient du substantif anglais random, le hasard. Dans un essai randomisé contrôlé, le hasard intervient par tirage au sort entre les deux produits ou techniques testés. Dans le langage médical courant, on a tendance à laisser tomber randomisé pour ne garder que contrôlé. Essai contrôl» est donc l’expression consacrée.
Simple, double voire triple aveugle (mais pas plus…)
Le mot aveugle, ou insu, signifie que l’une des parties ignore quel est le résultat du tirage au sort ; en général, dans une étude en simple aveugle, c’est le patient testé qui ignore le traitement qui lui est appliqué, et l’on comprend bien que ce n’est pas toujours possible (si le produit testé est un pansement, il est pratiquement impossible que les deux types de pansements comparés soient identiques, et donc non identifiables par le soigné). En double aveugle, ou double insu, c’est le soignant qui est, si l’on peut dire, le deuxième aveugle ; là encore, ce n’est pas toujours possible (si l’on compare deux types d’interventions, le chirurgien connaît nécessairement l’intervention tirée au sort pour pouvoir la réaliser). Enfin, dans le triple aveugle, plus rare, l’expérimentateur, qui est différent du soignant, ne connaît pas non plus le résultat du tirage au sort.
Placebo
Dans les essais cliniques, il est possible de tester l’efficacité d’un produit en le comparant, non pas à rien ni à un autre produit actif, mais à un placebo (futur du verbe latin placere, qui veut dire « je plairai »). Le placebo est censé ne pas avoir d’effet thérapeutique, et sert donc de témoin au produit testé.
Cependant, même si un placebo est supposé ne contenir que des substances neutres, inactives sur le plan pharmacologique, il aura toujours une certaine efficacité, pour des tas de raisons psychologiques que l’on appelle l’effet placebo. Tout le monde a pu faire l’expérience personnelle qu’un médicament prescrit avec conviction et empathie sera plus efficace que s’il est délivré avec une phrase bougonne du genre « je ne crois pas à l’efficacité de ce produit, mais si ça peut vous faire plaisir, je vous le prescris ; au moins cela ne vous fera pas de mal » !
On le voit, pour qu’un produit soit reconnu comme intéressant en thérapeutique, il faut qu’il soit au moins plus efficace qu’un simple placebo ; il est loin d’être certain que ce soit le cas de tous les médicaments figurant dans le dictionnaire Vidal.
Il n’est pas impossible que le succès croissant des médecines dites douces, ou alternatives, ou encore complémentaires soit en partie lié à un effet placebo ; en effet, si beaucoup de ces méthodes s’avèrent efficaces, il est pratiquement impossible de le démontrer scientifiquement par des essais cliniques. Certes, « ça marche », mais pas forcément mieux qu’un placebo… Ces considérations risquent de nous emmener loin ! Mieux vaut ne pas en dire plus…
A noter que le mot placebo a un contraire, qui est nocebo, fort peu employé ; à l’instar de placebo, il est construit sur le futur du verbe nocere, qui signifie nuire. Un des adages que les étudiants en médecine ont le plus entendu est l’expression classique primum non nocere, autrement dit « avant tout, ne pas nuire (à son patient) », qui devrait être la première règle de conduite de tout bon médecin.
Recherche clinique et éthique
Lorsqu’une équipe médicale organise un essai clinique, elle doit y inclure un nombre préétabli (par une étude statistique) de patients, mais à la condition formelle que ceux-ci donnent leur consentement ; en effet, le fait d’être tiré au sort peut être très anxiogène pour le patient, qui peut craindre de « tirer le mauvais numéro » (en pensant peut-être que le soignant connaîtrait par avance le résultat).
C’est une des raisons pour lesquelles certains refusent la randomisation ; l’autre raison souvent avancée est que certains patients ne veulent pas « servir de cobaye ». Mais d’autres, au contraire, seront ravis d’aider la médecine à progresser, si petite que soit leur contribution à l’avancement de la science ; cet argument s’observe parfois en cancérologie, chez des patients qui seraient éventuellement tentés de demander qu’on les laisse en paix, et qui acceptent un nouveau traitement pour aider de futurs patients.
Une autre règle éthique à respecter, c’est, bien entendu, de ne comparer que des produits ou des techniques dont l’efficacité est présupposée comparable ; il ne serait pas du tout conforme à l’éthique de comparer une nouvelle molécule à autre chose que celle qui est considérée comme le gold standard du moment.
Enfin, si, en cours d’étude, un traitement se révèle dangereux ou inefficace, l’éthique impose d’arrêter l’étude avant son terme.
Evidence based medicine et méta analyse
La recherche clinique est à la base de ce que l’on appelle actuellement la médecine factuelle, ou médecine fondée sur les preuves, en anglais evidence based medicine.
Il est essentiel de comprendre que les résultats d’une étude particulièrement bien conduite sur le plan méthodologique pourront être secondairement contredits par une autre étude, tout aussi bien menée. Un semblant de vérité (car il n’y a pas de vérité dans les affaires humaines) pourra être apporté par une méta analyse, qui prendra en compte toutes les études menées sur un sujet donné, en intégrant leur niveau de preuve. Et si on ne pas dire quelle est la vérité du moment, au moins peut on établir des recommandations de bonne pratique (RPC), dont le respect par les médecins est une obligation déontologique.
Article publié le 26 mai 2014