L’externat et l’internat furent des concours que passaient naguère les étudiants en médecine pour avoir la meilleure formation médicale possible.
L’externat a vécu, et l’internat actuel n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’il était quand Bonaparte l’a conçu. Faut-il le regretter ou s’en réjouir ? La question est posée…
L’hôpital sous l’Ancien Régime. La Révolution
Sans refaire l’histoire de l’hôpital public en France (que vous trouverez dans l’article consacré à l’Assistance Publique), il faut rappeler ici que sous l’Ancien Régime, les médecins étaient très peu présents à l’hôpital, occupés par leurs activités en ville. Le personnel soignant était composé essentiellement de religieuses, ce qui déplaisait fortement aux révolutionnaires, très anticléricaux pour la plupart. Beaucoup de religieuses furent chassées des hôpitaux, quand elles ne furent pas guillotinées (cf. la pièce Dialogue des Carmélites de Georges Bernanos, et l’opéra éponyme de Francis Poulenc).
Il était urgent de remédier à la situation dramatique des hôpitaux à la fin de la période révolutionnaire. C’est à ce sujet que s’attaqua le Premier Consul Bonaparte, avec son efficacité légendaire.
Création de l’externat et de l’internat par Bonaparte en 1802
C’est en effet par décret consulaire du 4 ventôse an X (22 février 1802) que furent créés les concours de l’externat et de l’internat des hôpitaux. En mettant des internes (au sens trivial du terme, c’est-à-dire vivant sur place) dans les services hospitaliers, on assurait une présence médicale 24 heures sur 24.
A l’époque de la création des concours, il ne s’agissait que de Paris ; la province suivra. La notion de concours répondait à un souci bien républicain d’éviter tout favoritisme ; c’est le fameux élitisme républicain, toujours en faveur dans notre pays. Cependant, l’existence d’épreuves orales permettait, d’une certaine façon, de favoriser certains candidats, comme les fils de patrons (patrons hospitaliers, bien entendu). Les épreuves orales ont été supprimées à la fin des années 60, assurant ainsi l’anonymat complet du concours.
Les concours étaient organisés par l’administration hospitalière, et non pas par l’université, ce qui ne dispensait cependant pas les internes de passer les examens organisés par la faculté de médecine, seule habilitée à délivrer le fameux sésame de docteur en médecine, à l’issue d’une soutenance de thèse d’exercice.
Le concours de l’internat était réservé à ceux qui avaient réussi l’externat, à l’issue d’une épreuve organisée en fin de deuxième année, et cela jusqu’à la suppression du concours de l’externat en 1968. L’externe a disparu au profit de l’étudiant hospitalier, fonction ouverte à tous les étudiants en médecine, sans aucune sélection.
Ces concours hospitaliers allaient devenir le moteur de l’excellence médicale française, largement reconnue de nos jours.
Brève histoire de l’internat « ancienne manière »
Comme Bonaparte ne lambinait jamais, le premier concours de l’internat des hôpitaux de Paris fut organisé le 26 fructidor an X (13 septembre 1802). Soixante candidats se présentèrent ; vingt-quatre furent reçus.
La préparation du concours était particulièrement difficile, sollicitant beaucoup la mémoire, et représentait des heures de travail quotidien se terminant tard dans la nuit, le tout pendant presque trois ans.
Les candidats au concours se regroupaient par affinité au sein d’institutions informelles, que l’on appelait « conférences d’internat », notamment à Paris, ou « écuries » dans d’autres villes. Le principe était de travailler chez soi, et de se réunir deux soirs par semaine sous l’autorité du conférencier de médecine et biologie d’une part, du conférencier de chirurgie et d’anatomie d’autre part, pour rédiger une « question d’internat », qui était ensuite corrigée dans la foulée. Certains conférenciers d’internat jouissaient d’une solide réputation parmi les étudiants.
Bref, une vraie vie monacale, qui trouvait sa récompense ultime si l’on était nommé au premier concours. Sinon, on pouvait de présenter trois fois.
Une fois nommé, on entrait dans une véritable confrérie, avec ses rites, comme celui du tutoiement de la part des aînés et l’appelation de « collègue » entre soi.
Dès le départ, l’internat durait quatre ans, soit huit semestres, puisque un stage durait six mois. Un grand moment de la vie d’interne était celui du choix semestriel des stages, qui se faisait par ordre de classement. Mieux valait avoir été reçu avec un bon rang pour pouvoir prétendre aux meilleurs services, les plus formateurs, auxquels on n’accédait en général qu’à partir de la troisième année. Comme dans tous les concours, le premier reçu était « major » de sa promotion.
A la fin des quatre années, on obtenait automatiquement le titre envié et définitif d’ancien interne des hôpitaux (de Paris ou de toute autre ville de faculté). C’est personnellement cet internat que j’ai connu, et je suis toujours fier d’être AIHP (ancien interne des hôpitaux de Paris).
Certains internes obtenaient la possibilité d’une année supplémentaire dans le service de leur choix en décrochant une « médaille d’or » ou une « médaille d’argent ».
A la fin de l’internat se posait la question de l’avenir. Si l’interne estimait que sa formation avait été suffisante, il pouvait s’installer comme spécialiste. S’il jugeait qu’il lui fallait poursuivre sa formation, notamment dans les spécialités techniques comme la chirurgie, il devait devenir chef de clinique. Pour ce faire, il sollicitait de ses anciens patrons un « poste de chef ».
Création du clinicat
Le titre et la fonction de chef de clinique remontent à 1823. Il s’agissait de créer, par nomination et non pas par concours, un corps de médecins universitaires assurant une triple mission de soins, d’enseignement et de recherche. A mon époque (la fin des années 80), on était chef de clinique à la faculté de médecine (de Paris en ce qui me concerne) pour les fonctions d’enseignement et de recherche, et assistant des hôpitaux pour la partie réservée aux soins (pour moi l’hôpital Henri Mondor de Créteil, CHU créé en 1971). Actuellement le titre exact est chef de clinique des universités-assistant des hôpitaux, CCU-AH.
Pour en savoir plus sur le clinicat, je renvoie le lecteur à l’article « Chef de clinique et clinicat ».
La salle de garde et ses traditions
Les internes logent dans un bâtiment appelél' internat, et prennent leurs repas dans un espace dédié appelé la salle de garde, au sein de laquelle ils doivent, sous peine de « taxe » (en fait un gage), respecter certaines traditions, comme ne jamais parler du boulot pendant le repas, taper sur la table avec son couteau les « battues » aux noms folkloriques (la Royale, la Périphérique…) sans se tromper de rythme ou chanter en chœur et par cœur les fameuses « chansons de salle de garde », colligées dans le Bréviaire du carabin, le carabin désignant l’étudiant en médecine. Les internes en pharmacie sont nécessairement des « potards », souvent en fait des potardes.
La salle de garde est sous l’autorité d’un « économe » élu pour six mois, assisté dans ses fonctions d’un « sous-économe » et, dans le meilleur des cas, d’accortes « économinettes ». L’économe est souverain dans ses décisions, comme celle d’accepter les « fossiles », c’est-à-dire les chefs de clinique, voire les « dinosaures » que sont les agrégés ou les patrons. Certaines salles de garde étaient réputées pour la qualité des repas qui y étaient servis (je me souviens de celle de Beaujon).
Il existait des moments privilégiés dans la vie de salle de garde, comme les « améliorés » (repas de fête organisés par l’économe), les « tonus », les « enterrements » (fictifs, bien sûr) de collègue, ou encore les « descentes » dans une autre salle de garde.
J’imagine aisément que la plupart de ces traditions sont passées de vie à trépas, et ce chapitre aurait pu être rédigé à l’imparfait. Cependant, elles sont très bien décrites, et donc apparemment toujours d’actualité, dans le très beau film Hippocrate, qui raconte les premiers pas difficiles d’un jeune interne dans le service de médecine interne d’un hôpital parisien.
Pour ceux qui aimeraient en savoir plus sur toutes ces traditions, souvent sympathiques, mais parfois outrancières, je recommande la lecture de l’excellent livre du Pr. Jean-Noël Fabiani (conférencier d’internat réputé à son époque) : C’est l’hôpital qui se moque de la charité, qui fourmille d’anecdotes vécues.
Création des CES
Après la Seconde Guerre, le constat fut fait que certaines disciplines en plein essor n’étaient pas choisies par les internes. Comme il fallait bien former des spécialistes dans ces disciplines, on créa le CES, certificat d’études spécialisées, diplôme universitaire qui permettait d’obtenir au bout de deux années d’études une qualification par l’Ordre des médecins. Les chefs de clinique obtenaient de facto une qualification ordinale dans la discipline qu’ils avaient choisie. Les CES ont été supprimés en 1984.
Création des CHU
Robert Debré fut un très grand médecin, fondateur de la pédiatrie française. Il avait le projet un peu fou de mettre fin à la dichotomie qui existait entre les hiérarchies hospitalière et universitaire. Il voulait réunir ces deux mondes sur le modèle américain, pour obtenir l’enseignement au lit du malade par des praticiens exerçant à temps plein à l’hôpital. Il fut grandement aidé dans la réalisation de son rêve par le fait que son fils Michel était Premier Ministre du nouveau Président de la République, le Général de Gaulle. Il lui fallut cependant accepter une concession de taille pour que les mandarins se décident à lâcher leur lucrative clientèle privée, à savoir la possibilité d’avoir une clientèle privée à l’hôpital public. Ce secteur privé des praticiens hospitaliers existe toujours, et continue de faire polémique dans l’opinion publique chaque fois qu’il est question des dépassements d’honoraires de certains médecins hospitalo-universitaires.
Cette réunion de l’hôpital et de la faculté aboutit à la création, en 1958, des CHU, centres hospitaliers universitaires, au nombre d'une trentaine dans toute la France actuellement. Mais, comme nous ne sommes plus au temps de Bonaparte, la chose mit un temps certain à se concrétiser, puisque le premier en date des CHU parisiens, Saint-Antoine, ne vit le jour qu’en 1965.
Fin des concours. L’examen classant national
On l’a vu, l’externat fut une des victimes de la tourmente de 68. Quant à l’internat, il évolua en trois phases : l’internat hospitalier, tel que l’avait conçu Bonaparte, de 1802 à 1982, qui est celui que j’ai connu, et que j’ai décrit plus haut ; puis l’internat universitaire, de 1982 à 2004 ; enfin l’internat pour tous depuis 2005, avec la suppression du concours en 2004.
La suppression du concours de l’internat fut envisagée en 1982, mais, à la suite d’une grève massive des soins, l’internat sauva sa peau sous forme d’un concours universitaire, organisé sous l’égide du CNCI (Centre national des concours d’internat), hébergé par l’Université René Descartes (Paris V).
L’internat nouvelle manière, dit internat de spécialité (ou de CHU), devint la seule voie d’accès aux spécialités. Les non internes (par choix ou par échec) étaient nommés résidents.
Depuis 2005 l’internat de spécialité est remplacé par l’examen classant national. Mais le nom prestigieux d’interne perdure, et tous les étudiants en médecine deviennent internes, y compris en médecine générale. La sélection se fait par la note obtenue à l’examen.
Mais ceci est une autre histoire…
Pour terminer, un mot sur les concours en général
La France, on le sait, aime les concours de fin d’études (l’ENA et toutes les « grandes écoles », Polytechnique en tête). La médecine les a supprimés. Alors, est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?
L’avantage du concours en médecine, c’est la sélection des meilleurs étudiants par le travail, et Dieu sait s’il en faut pour retenir tout ce qu’un médecin doit savoir, car la mémoire est ici plus importante que l’intelligence. Mais ceux qui ont échoué au concours doivent aussi avoir acquis peu ou prou les mêmes connaissances pour devenir de bons médecins.
L’inconvénient du concours, c’est qu’on a facilement tendance à le considérer comme une fin en soi, alors qu’il n’est qu’une porte d’entrée à un métier que l’on ne connaît pas encore quand on est « nommé ». En clair, on connaît la théorie, reste le plus difficile, apprendre la pratique, et ce n’est pas rien. Celle-ci s’acquiert en grande partie par compagnonnage avec les aînés, notamment les chefs de clinique (qui sont recrutés par nomination et non pas par concours).
Et l’on ne peut que regretter qu’il n’y ait pas, à rebours de ce qui se fait dans beaucoup de pays, soit un contrôle continu des pratiques et des connaissances, soit, à défaut, un examen final qui permettrait de savoir si, par exemple, un apprenti chirurgien opère selon les règles de l’art, c’est-à-dire en toute sécurité pour ses patients.
Article publié le 22 août 2016