Dans le cadre de la révision de la loi portant sur la bioéthique, le Conseil d'État a présenté en juillet 2018 les options dont dispose le Gouvernement.
Il donne une définition du modèle français, au sein duquel la dignité est la valeur dominante aux côtés de la liberté et de la solidarité.
« Dignité, Liberté, Solidarité », ce pourrait être une belle devise nationale pour la France. La dignité de la personne humaine remplacerait ainsi l’égalité, notion chère aux Français, et la solidarité la fraternité, terme qui, malheureusement, ne dit plus grand-chose à la plupart des gens dans notre pays.
C’est au nom de ces principes que le Conseil d'État se prononce contre la légalisation de la GPA (gestation pour autrui) d’une part, l’euthanasie et le suicide assisté d’autre part.
À l’exact opposé de cette conception éthique que certains qualifient de « paternaliste », on trouve l’éthique minimale du philosophe Ruwen Ogien.
Dignité
La dignité du corps humain s’exprime à travers les deux concepts centraux de son inviolabilité et de son extra-patrimonialité (ou non-patrimonialité). Ce ne sont pas nécessairement les notions auxquelles on pense quand on évoque la dignité.
Le principe de l’inviolabilité a été consacré par le législateur dans la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain. L’article 16 du Code civil dispose que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». L’article 16-1 affirme de manière très claire que « chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable ». Le principe a pour finalité de protéger le corps humain des atteintes des tiers. Ces derniers sont obligés de respecter le corps d’autrui. Le Conseil constitutionnel a, à ce titre, affirmé que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle » (décision du 27 juillet 1994).
Mais, si les textes reconnaissent à la personne le droit de s’opposer à toute atteinte à son intégrité physique, ils admettent également que celle-ci a le droit d’autoriser une telle atteinte (c’est le cas dans les rapports sadomasochistes entre adultes consentants; ce devrait l'être aussi pour l'euthanasie et le suicide assisté).
Le principe de non-patrimonialité du corps humain constitue l’une des conséquences du principe plus général de dignité de la personne humaine et il traduit concrètement le principe plus général d’indisponibilité du corps.
Un droit patrimonial est évaluable en monnaie, il constitue une valeur pécuniaire s’inscrivant dans le patrimoine de la personne. Affirmer le principe de non-patrimonialité s’inscrit donc dans une approche éthique refusant la « commercialisation du corps » comme l’a affirmé dès 1990 le Comité national consultatif d’éthique (avis n° 21). Le corps et ses produits ne peuvent donc faire l’objet d’un commerce, d’un négoce. C’est cette interdiction de la « marchandisation » du corps humain qui est à l’origine du refus de la GPA, autorisée dans de nombreux pays mais pas dans le nôtre. C’est ce principe qui explique que le don de tissu (notamment le sang) ou d’organe soit obligatoirement gratuit en France.
Les informations ci-dessus émanent du site weka.fr.
On notera que le droit à l’IVG entre en contradiction avec la « garantie du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie », tel que défini par le principe d’inviolabilité.
Liberté
La liberté, au sens éthique du terme, comporte deux volets : l’autonomie et le consentement du patient.
L’autonomie désigne plusieurs notions en médecine : en biologie, l’autonomie par rapport au milieu est une des caractéristiques du vivant. En pratique médicale courante, l’autonomie désigne avant tout la capacité pour un sujet d’assurer les actes de la vie courante.
Mais, dans le vocabulaire de l’éthique médicale qui nous occupe ici, on parle d’autonomie pour désigner la liberté de choix du patient par rapport aux propositions thérapeutiques qui lui sont faites.
Cette autonomie s’exprime grâce au consentement dit « éclairé » que le patient donne (ou pas) au corps médical quand une proposition thérapeutique lui est faite. Un article de cette encyclopédie traite de la question du consentement et de l’information.
Solidarité
Ce beau mot possède plusieurs sens (notamment juridique), qui peuvent tous se résumer par la fameuse devise des quatre mousquetaires : « Un pour tous, tous pour un ».
La solidarité est un sentiment de responsabilité et de dépendance réciproques au sein d'un groupe de personnes qui sont moralement obligées les unes par rapport aux autres. Ainsi les problèmes rencontrés par l'un ou plusieurs de ses membres concernent l'ensemble du groupe. La solidarité conduit l'homme à se comporter comme s'il était directement confronté au problème des autres, sans quoi c'est l'avenir du groupe (donc le sien) qui pourrait être compromis. La solidarité humaine est un lien fraternel et une valeur sociale importante qui unissent le destin de tous les hommes les uns aux autres. C'est une démarche humaniste qui fait prendre conscience que tous les hommes appartiennent à la même communauté d'intérêt. La solidarité doit être distinguée de l'altruisme qui conduit à aider son prochain, par simple engagement moral, sans qu'il y ait nécessité de réciprocité, ainsi que de la coopération où chacun travaille dans un esprit d'intérêt général pour l'ensemble.
Ces informations proviennent de l’excellent site « toupie.org ».
Ce qui nous importe ici, c’est la solidarité sociale, qui est à l’origine de l’institution de la Sécurité sociale, fondée en 1945, et dont les trois principales caractéristiques sont d’être « solidaire, universelle et équitable ».
La solidarité en matière de Sécurité sociale, cela signifie que chacun, au sein de notre société, participe à la protection de tous et chacun bénéficie de cette protection. Grâce à leurs cotisations, les bien-portants sont solidaires des malades, et les personnes en âge de travailler sont solidaires des inactifs et des retraités. « On cotise selon ses moyens, on utilise selon ses besoins », selon la formule consacrée, ce qui est très différent du principe de l’assurance en général, où l’on cotise en fonction du risque que l’on veut couvrir. L’expression « assurance maladie » me semble donc mal choisie. Mais elle est validée par l’usage.
Ruwen Ogien et l’éthique minimale
Ruwen Ogien est un philosophe français spécialiste de philosophie morale, se réclamant de la philosophie analytique anglo-saxonne, peu fréquentée en France.
Il naît « avant 1949 » (il n’a jamais dévoilé sa véritable date de naissance), au sein d’une famille juive polonaise rescapée de la Shoah, et arrive en France peu de temps après sa naissance. Il meurt le 4 mai 2017 d’un cancer du pancréas. Il raconte son expérience de la maladie dans un livre bouleversant, Mes mille et une nuits (entre drame et comédie), livre qui paraît peu de temps avant qu’il n’entre en phase finale de sa maladie.
Sa philosophie peut se résumer au concept qu’il a développé, celui de « l’éthique minimale ». Cette éthique minimale comportait initialement les trois principes suivants :
• Considération égale pour chacun ;
• Neutralité à l’égard des conceptions du juste et du bien personnel ;
• Intervention limitée aux cas de torts flagrants causés à autrui.
En définitive, il a réduit ces trois principes à un seul, exprimé de la façon suivante : « Ne pas nuire aux autres, rien de plus ».
Cette position exclut les devoirs moraux envers soi-même (pour notre auteur, il n’en existe aucun, ce qui autorise une liberté individuelle totale, notamment en matière sexuelle ou de consommation de stupéfiants, ou encore de suicide), et les devoirs moraux positifs envers les autres, qualifiés de paternalistes (la fameuse « police morale », expression reprise du philosophe utilitariste John Stuart Mill). Seul reste le devoir moral négatif de ne pas nuire aux autres.
Directeur de recherches au CNRS, il est l’auteur d’une œuvre abondante en sociologie et en philosophie, au sein de laquelle on peut citer : La philosophie morale (PUF 2004) ; La panique morale (Grasset 2004) ; La sexualité (PUF 2005) ; L’éthique aujourd’hui : maximalistes et minimalistes (Gallimard 2007) ; La vie, la mort, l’état : le débat bioéthique (Grasset 2009) ; L’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine et autres expériences de philosophie morale expérimentale (Grasset 2011), surprenant succès de librairie ; L’état nous rend-il meilleurs ? (Gallimard 2013) ; Philosopher ou faire l’amour (Grasset 2014) ; Mon dîner chez les cannibales (Grasset 2016) ; Mes mille et une nuits (Grasset 2017), déjà cité.
C’est la lecture de ce dernier livre qui est à l’origine de ma nouvelle médicale La maladie, les médecins et moi, que vous pouvez lire sur ce site.
Article publié le 9 juillet 2018