Comme l’indique la racine « hémo », l’hémostase ne concerne que le sang, alors que la coagulation est un phénomène plus étendu, puisque des liquides comme le lait peuvent coaguler. Bien entendu, nous n’envisagerons ici que la coagulation sanguine.
La coagulation sanguine est une phase essentielle de l’hémostase, processus biologique qui permet de stopper une hémorragie. Elle correspond à la phase dite d’hémostase secondaire.
Cependant, sur un plan sémantique, on a volontiers tendance à employer indifféremment ces deux termes, en disant, par exemple, qu’on coagule un vaisseau ou qu’on en fait l’hémostase, le résultat étant le même, à savoir l’arrêt du saignement.
Coagulation
La coagulation est un phénomène biologique complexe qui permet la formation d’un caillot sanguin, grâce à la « cascade de coagulation », dite hémostase secondaire. Cette cascade aboutit à la formation de fibrine de deux manières différentes : la voie extrinsèque (dépendante du facteur tissulaire) et la voie intrinsèque ; la voie extrinsèque est la plus importante des deux.
La cascade de coagulation met en œuvre des réactions en chaîne, l’activation d’un facteur de coagulation déclenchant l’étape suivante, qui permettra l’activation d’un autre facteur de coagulation, et ainsi de suite jusqu’au facteur I
Il existe treize facteurs de coagulation, identifiés par des chiffres romains, de I à XIII, assortis d’un « a » minuscule pour la forme activée. Ces facteurs de coagulation sont pour la plupart des enzymes, la forme inactive étant un zymogène : la prothrombine (facteur II) est le zymogène de la thrombine (facteur IIa), laquelle active le fibrinogène (facteur I) en fibrine (facteur Ia), dernière étape de l’hémostase secondaire.
Hémostase
L’hémostase est un processus biologique et physiologique qui permet l’arrêt d’un saignement. Elle commence dès la survenue d’une brèche au niveau de l’endothélium vasculaire (la tunique interne des vaisseaux), et comporte diverses étapes successives et néanmoins simultanées qui sont : la vasoconstriction, qui diminue le calibre des vaisseaux lésés ; l’hémostase primaire ou formation du « clou plaquettaire », dans laquelle l’agrégation des plaquettes et le facteur de von Willebrand jouent un rôle déterminant ; l’hémostase secondaire ou « cascade de coagulation (cf. supra) ; l’hémostase se termine par la dissolution du caillot, appelée fibrinolyse.
La fibrinolyse est le processus qui permet la dissolution de la fibrine grâce à la plasmine, forme activée du plasminogène.
Des troubles de la fibrinolyse aboutissent à un état d’hypercoagulabilité, source de thrombose.
Exploration de l'hémostase
L’hémostase s’explore par des examens de laboratoire, qui différent selon que l’on s’intéresse à l’hémostase primaire ou secondaire. Pour l’hémostase primaire, il s’agit du temps de saignement (qu’on ne fait plus en routine), de la numération plaquettaire et du dosage du facteur de von Willebrand. Pour l’hémostase secondaire, du TCA (temps de céphaline activé), du taux de prothrombine (TP et INR), du temps de thrombine et du dosage des facteurs de la coagulation.
Une petite précision concernant le TP et l’INR, que connaissent tous les patients sous AVK (antivitamines K) : le TP normal est de 100%, et les valeurs mesurées s’expriment en pourcentage inférieurs à 100%; plus le pourcentage est bas, plus le médicament anticoagulant est efficace (et donc potentiellement dangereux). On tend à remplacer le TP par l’INR (même si les laboratoires d’analyses médicales donnent toujours les deux valeurs). L’INR (International Normalized Ratio) a une valeur normale autour de 1, et les valeurs thérapeutiques vont de 2 à 4, selon l’indication du traitement anticoagulant: INR cible.
Troubles de la coagulation et de l’hémostase
L’étude de l’hémostase fait partie de l’hématologie. Cependant, cas suffisamment rare pour être signalé, les hématologues spécialistes de l’hémostase ne portent pas de nom spécifique, et sont donc « innominés » (terme d’anatomie qui désigne une structure qui ne porte pas de nom) : il n’y a pas d’ « hémostasologue ».
Schématiquement, une anomalie de l’hémostase peut avoir deux conséquences diamétralement opposées : soit un risque accru de saignement, par hypocoagulabilité, comme dans l’hémophilie, soit un risque accru de thrombose, par hypercoagulabilité.
Une famille célèbre d'hémophiles: les Romanov
Les deux phases, primaire et secondaire, de l’hémostase, sont concernées par des affections différentes. Les anomalies plaquettaires, souvent acquises, perturbent l’hémostase primaire, alors que les anomalies des facteurs de la coagulation, souvent héréditaires, agissent sur l’hémostase secondaire.
Anticoagulants et antiagrégants plaquettaires
En matière de thrombose ou d’embolie (maladie thromboembolique), il faut différencier les situations à risque (thrombogène ou emboligène) des cas où la maladie (thrombose ou embolie) est constituée.
Qu’il s’agisse de thrombose ou d’embolie, il convient de séparer ce qui touche le système veineux (thrombose veineuse éventuellement compliquée d’embolie pulmonaire) de ce qui affecte les artères, notamment coronaires et cérébrales (infarctus du myocarde et AVC).
Pour agir sur la coagulation dans le sens d’une hypocoagulabilité (les patients disent volontiers qu’ils prennent des médicaments pour « fluidifier » leur sang), on dispose de deux types de médicaments, souvent confondus entre eux : les anticoagulants et les antiagrégants plaquettaires. Les premiers agissent sur la phase secondaire de l’hémostase, les seconds sur la phase primaire.
Il existe trois variétés de médicaments anticoagulants : primo l’héparine, sous toutes ses formes, qui ne s’administre jamais par voie orale ; la plupart des patients qui ont été opérés connaissent les injections sous-cutanées quotidiennes d’HBPM (Héparine de bas poids moléculaire) pendant une période plus ou moins longue.
Secundo les antivitamines K (AVK), que connaissent bien les patients qui sont en fibrillation auriculaire, avec la nécessité d’adapter régulièrement la posologie du médicament à l’INR ; les AVK agissent sur les facteurs de la coagulation dont la synthèse nécessite la présence de vitamine K.
Tertio, ce que l’on appelle les « nouveaux anticoagulants », plus faciles à manier, car ils ne nécessitent pas de surveillance biologique, mais aussi plus dangereux car ils n’ont pas d’antidote (celui des AVK est tout simplement la vitamine K).
Les anticoagulants sont prescrits à doses prophylactiques dans les situations à risque de thrombose veineuse, et à doses curatives en cas de thrombose veineuse constituée ou d’embolie pulmonaire. Ils sont également prescrits à doses prophylactiques dans les situations emboligènes comme l’arythmie complète par fibrillation auriculaire (ACFA).
Les antiagrégants plaquettaires sont prescrits aux patients porteurs d’un athérome qui engendre des risques thromboemboliques : athérome coronarien avec risque d’infarctus, athérome cérébral avec risque d’accident vasculaire cérébral (AVC), artériopathie oblitérante des membres inférieurs, à risque d’ischémie distale. Les deux médicaments les plus prescrits sont l’aspirine (le fameux Kardégic) et le clopidogrel (le non moins fameux Plavix). Il s'agit d'un traitement préventif, utilisé plus en prévention secondaire que primaire.
Procédés hémostatiques
Obtenir la meilleure hémostase possible est une préoccupation constante lors d’une intervention chirurgicale. On distingue l’hémostase préventive, qui consiste à s’assurer qu’un vaisseau ne saignera pas une fois sectionné, et l’hémostase curative, dans laquelle le chirurgien cherchera à obtenir l’arrêt d’un saignement actif.
Pour cela, l’équipe chirurgicale dispose de nombreux moyens hémostatiques. Le plus simple et le plus ancien est la ligature vasculaire, faite avec des fils ou des clips en titane. Les premiers sont utilisés surtout en chirurgie ouverte, les seconds préférentiellement en vidéochirurgie.
Les autres procédés appartiennent au vaste domaine de l’électrochirurgie. Le plus ancien est le bistouri électrique, en coagulation monopolaire ou bipolaire. C’est, avec le bistouri « froid » (le fameux « scalpel » des anglo-saxons), l’instrument de base de la chirurgie. Les procédés les plus récents utilisent les ultrasons, la thermofusion, ou encore le laser, notamment à l’argon.
Par ailleurs on dispose de produits qui favorisent l’hémostase, comme le collagène fibrillaire ou les alginates, qui se présentent en mèches ou en compresses que l’on dispose par exemple dans une cavité dont on n’arrive pas à faire l’hémostase correctement.
A l’opposé, il existe des situations, souvent dramatiques (embolie pulmonaire, infarctus du myocarde ou AVC), dans lesquelles il faut à tout prix obtenir le plus rapidement possible la dissolution du thrombus ou de l’embole. Pour ce faire, on peut recourir à la fibrinolyse thérapeutique, grâce à des médicaments fibrinolytiques.
Lymphostase
La lymphe ne contient pas d’éléments figurés, notamment pas de plaquettes. En conséquence, quand un vaisseau lymphatique est accidentellement ouvert, la lymphe ne coagule pas. C’est ce qui explique les épanchements lymphatiques, qu’il s’agisse de l’épanchement post-traumatique de Morel-Lavallée, ou de la lymphocèle après curage ganglionnaire. D’où l’importance pour le chirurgien de procéder à une bonne « lymphostase » lors d’un curage ganglionnaire. Sinon, le patient risque d’avoir à subir des ponctions évacuatrices itératives.
Quelques subtilités sémantiques
On l’a dit, bien que les termes « coagulation » et « hémostase » aient chacun un sens différent, puisque l’hémostase inclut la coagulation, on a tendance à les employer indifféremment pour désigner l’arrêt d’un saignement, notamment pendant une intervention chirurgicale : que l’on coagule un vaisseau ou que l’on en fasse l’hémostase, on dit la même chose.
Coaguler est le verbe correspondant au substantif coagulation : le sang coagule, et le chirurgien coagule les vaisseaux. En revanche, le substantif hémostase n’a pas de verbe : soit l’hémostase se fait spontanément, par le processus biologique décrit ci-dessus, soit quelqu’un la fait. Ce quelqu’un est en général un chirurgien, mais peut être aussi gastro-entérologue ou un radiologue interventionnel, en tout cas un spécialiste qui dispose de moyens techniques pour arrêter une hémorragie.
A la fin d’une intervention chirurgicale, l’objectif de l’opérateur est d’obtenir la meilleure hémostase possible ; pour y arriver, il procède par coagulation.
Article publié le 18 mai 2015