Ces deux termes s’appliquent à la même notion, à savoir l’adaptation à un stimulus extérieur, mais le premier décrit un processus physiologique plutôt bénéfique, le second un comportement pathologique clairement délétère.
L’accoutumance permet de s’adapter à un environnement parfois hostile ; c’est donc un processus de défense. La dépendance, que, par préférence pour les anglicismes, nous appelons plus volontiers actuellement l’addiction, est, en quelque sorte, une déviation pathologique de ce mécanisme adaptatif.
Accoutumance, tolérance et adaptation
L’accoutumance, que l’on désigne parfois sous le nom de tolérance, est un processus qui permet à l’organisme de s’adapter à un stimulus extérieur. Elle a comme conséquence positive une plus grande capacité à supporter les effets du stimulus, et comme conséquence négative la nécessité éventuelle d’augmenter le stimulus (par exemple les doses d’un médicament) pour obtenir le même effet que celui initialement observé.
Prenons un exemple simple, l’accoutumance au bruit : lorsqu’une personne vivant à la campagne vient vivre en ville, elle aura besoin d’un temps plus ou moins long pour s’adapter aux bruits de la ville ; mais, à l’inverse, un citadin qui vient passer quelques jours à la campagne devra s’adapter à un environnement certes moins bruyant, mais très différent, comme le chant matinal du coq. C’est bien connu, les citadins dorment en général mal à la campagne !
On le voit, l’accoutumance est ici un phénomène bénéfique d’adaptation.
En médecine, le terme d’accoutumance est employé essentiellement pour désigner la nécessité d’augmenter les doses d’un médicament pour qu’il continue à produire les mêmes effets. Au bout d’un moment, le médicament finit par devenir totalement inefficace, comme les somnifères ou les laxatifs chez les gens qui n’imaginent pas pouvoir s’en passer pour dormir ou aller à la selle. Même chose pour les antalgiques, dont il faut augmenter régulièrement les doses pour obtenir une analgésie satisfaisante.
C’est ici l’aspect négatif de l’accoutumance qui est à l’œuvre.
Rappelons une anecdote célèbre dans l’Antiquité : le roi d’Asie mineure Mithridate VI Eupator redoutait de mourir empoisonné (c’était fréquent à l’époque !). Il avait eu l’idée d’habituer son organisme au poison grâce à l’ingestion quotidienne de faibles doses, ce qui, dans son esprit, devait le rendre tolérant à des doses mortelles de poison (à condition bien sûr que l’empoisonneur éventuel utilise la même substance toxique !). La légende veut que, lorsqu’il fut battu par Pompée, il ait échoué à se suicider par empoisonnement !
Cette méthode d’accoutumance progressive, dont dérive la désensibilisation aux allergènes utilisée en allergologie, s’appelle, en toute logique, la mithridatisation.
En prime, une seconde anecdote : à quelqu’un demandant à l’écrivain catholique Paul Claudel ce qu’il pensait de la tolérance comme vertu chrétienne, ce dernier aurait répondu : « La tolérance, il y a des maisons pour cela ! » (allusion au fait que les maisons closes étaient également qualifiées de « maisons de tolérance »).
Addiction et toxicomanie
Addiction est l’anglicisme utilisé de plus en plus souvent à la place de dépendance, pour désigner un trouble fréquent du comportement qui repose sur une envie irrépressible de faire une chose dont nous savons pertinemment qu’elle est nocive pour nous. Autrefois, on parlait d’assuétude, mais ce mot, un peu plus faible dans sa signification, est suranné.
L’addiction est toujours plus forte que la motivation de renoncer à ce qui est addictif, même quand cette motivation est puissante, ce qui explique qu’il soit si difficile de sortir de ce processus mortifère. Le sujet dépendant a parfaitement conscience de sa dépendance (même s’il ne la reconnaît pas toujours), mais n’arrive tout simplement pas à y renoncer.
Rappelons le célèbre aphorisme d’Oscar Wilde : « Je peux résister à tout, sauf à la tentation », qui résume assez bien ce qu’est la dépendance.
De très nombreuses activités peuvent être source d’addiction : les jeux vidéo, les jeux d’argent, le shopping, internet, le smartphone, le sexe, la drogue, plus ou moins « dure », et en premier lieu, le tabac (tabagisme) et l’alcool (alcoolisme).
Certaines de ces conduites addictives sont du ressort de la compulsion, comme les achats compulsifs d’objets parfaitement inutiles, ou la fringale subite d’un obèse.
Quand l’addiction concerne l’usage de stupéfiants, on préfère utiliser le terme de toxicomanie, que l’on n’utilise pas pour l’intoxication chronique au tabac et à l’alcool.
Addictif, addictogène, addict, accro
Addiction donne naissance à plusieurs adjectifs, comme addictif, relatif à l’addiction (une conduite addictive), addictogène, qui provoque l’addiction (un jeu vidéo addictogène, comme Candy Crush).
Quant à la personne qui souffre d’addiction, on ne lui a pas vraiment trouvé de dénomination valable en bon français : on dit volontiers, dans le langage relâché de tous les jours, accro ou addict, adjectif ou substantif anglais dérivés du latin addictus, qui désigne un esclave, ce qui correspond bien à l’état de la personne addict. Mais le mot correct en français reste à trouver, si tant est que quelqu’un le cherche ; dépendant serait le meilleur choix, si ce mot n’était ambivalent.
Dépendance
Dépendance est synonyme d’addiction, et présente l’avantage d’être un mot français. Mais ce terme est ambivalent, car il désigne également l’état d’une personne, handicapée ou tout simplement âgée, qui dépend des autres pour les gestes de la vie quotidienne. Dans cette acception, la dépendance désigne la perte de l’autonomie d’un sujet.
Etre dépendant à un stimulus quelconque est un esclavage, dépendre des autres parce que l’on a perdu son autonomie, et qu’on est à la merci de son entourage, est une servitude.
Sevrage et addictologie
Avec le développement des addictions, le besoin s’est fait sentir d’une discipline médicale qui se consacrerait exclusivement à la prise en charge des sujets atteints, et pas simplement des toxicomanes : c’est l’addictologie, avec ses sous-disciplines comme la tabacologie.
Le sevrage ne concerne pas que l’arrêt de l’allaitement maternel pour les nourrissons. Ce mot désigne aussi, et à la fois, l’arrêt d’une addiction, de manière brutale ou progressive, et les symptômes que l’on peut observer chez la personne, notamment toxicomane, en état de manque du fait du sevrage. On évoque alors le syndrome de sevrage.
Article publié le 28 septembre 2015