Guérisseur est un terme générique servant à désigner les personnes qui s’adonnent à un vaste ensemble de pratiques souvent ancestrales relevant de la pensée magique, auxquelles une partie non négligeable des Français a régulièrement recours en cas de maladie ou de blessure.
La médecine n’est pas une science exacte, comme chacun le sait. Cependant la médecine dite conventionnelle essaie d’être rationnelle, et la plus scientifique possible, à défaut d’être toujours efficace.
Du fait de ses nombreux échecs, différentes formes de médecine non conventionnelle fleurissent à ses côtés, en complément, en parallèle, ou encore en opposition à la médecine officielle.
Et puis il y a les guérisseurs, qui pratiquent une médecine non reconnue par les instances. Leur succès tient en partie au fait que la rationalité n’est pas la qualité la plus répandue dans la population française, notamment rurale.
Qu’est-ce qu’un guérisseur ?
On appelle guérisseur un individu dépourvu de diplôme médical qui prétend soigner, mais pas nécessairement guérir, en dehors du cadre scientifique et légal de la médecine, à l’aide de moyens empiriques s’apparentant souvent à la magie, et cela grâce à des dons habituellement transmis par un parent, avec ou sans produits de fabrication artisanale.
Ceux qui croient à l’efficacité des guérisseurs les consulteront volontiers, tout en allant voir quand même leur médecin pour le même problème. Il convient de mettre tous les atouts de son côté ! C’est beaucoup plus fréquent qu’on ne pourrait l’imaginer en milieu rural, où cette cohabitation surprenante entre médecine officielle et médecine à tendance magique est monnaie courante. Ceux qui n’y croient pas, notamment les habitants de la France urbaine, évoqueront le charlatanisme. Mais ce dernier mot s’applique aussi à de vrais médecins qui proposent à leurs patients des remèdes à l’efficacité douteuse en les présentant comme des panacées dénuées de danger. Relèvent aussi du charlatanisme les régimes amaigrissants supposés faire perdre à ceux qui les suivent 50 kg en 5 semaines, dont on nous rebat les oreilles dans les médias à grands coups de spots publicitaires mensongers.
En l’absence de tout diplôme reconnaissant sa pratique, un guérisseur est nécessairement autoproclamé comme tel. Il trouve son champ de prédilection dans le « traitement » des maladies qui guérissent spontanément, comme les verrues plantaires.
Différentes catégories de guérisseurs
Il existe de nombreuses catégories de guérisseurs, mais la première distinction intervient entre ceux qui mettent leurs dons supposés à disposition des gens qui les consultent sans chercher à en tirer bénéfice, sans battage publicitaire, et ceux qui en font un commerce, en général assez lucratif. Ils ont souvent un cabinet en ville, et risquent d’être qualifiés de charlatan. Le charlatanisme suppose en effet qu’il y ait un enjeu financier dans la pratique incriminée.
On distingue habituellement, en fonction de la façon dont ils pratiquent, les catégories suivantes, classées par ordre alphabétique :
• le coupeur de feu : comme son nom l’indique, il possède un don (souvent de famille) pour calmer les brûlures et accélérer leur cicatrisation.
• l’énergéticien : il est censé capter l’énergie environnante et la transmettre pendant une séance qui prend alors le nom de « soin énergétique ». Ce faisant, il débarrasse l’organisme de son « patient » des mauvaises énergies qui seraient un facteur de maladies.
• l’exorciseur ou exorciste : il est supposé chasser les démons. Dans la religion catholique, il s’agit d’un prêtre désigné par son évêque pour tenir ce rôle. Il y en a un par diocèse.
• le guérisseur : le terme n’est plus ici générique, mais désigne une personne qui utilise des prières ou des formules magiques appelées « secrets » censées être efficaces sur une pathologie donnée. Le guérisseur peut aussi procéder à l’imposition des mains.
• Le magnétiseur : son action se fait par imposition des mains sur le corps du patient, mais aussi à distance. Contrairement à l’énergéticien, le magnétiseur se sert de sa propre énergie, qui se matérialise par un dégagement de chaleur (comme c’est le cas pour les coupeurs de feu).
• le rebouteux : il remet en place les articulations « déboitées », grâce à des manipulations.
• le thaumaturge : dans l’église catholique, le thaumaturge est celui qui obtient des guérisons miraculeuses. Le premier et le plus connu d’entre eux est évidemment Jésus, dont les guérisons miraculeuses sont rapportées par les évangélistes. On se souvient que les rois de France étaient censés avoir le don de « guérir les écrouelles » par imposition des mains le jour de leur sacre. L’écrouelle est une adénopathie cervicale chronique d’origine tuberculeuse.
• On peut rapprocher de ces catégories de guérisseurs des activités très répandues comme la radiesthésie ou la voyance (qui a pris la suite de la médiumnité), la magie, la sorcellerie et le maraboutisme, le spiritisme ou encore le chamanisme, rare sous nos climats. Une de nombreuses fonctions du chaman(e) est précisément de guérir les malades.
Les guérisseurs et la médecine officielle
Dans l’Aveyron, départemental rural dans lequel j’ai travaillé quelques années, les « coupeurs de feu » sont très nombreux, et la plupart des gens ont recours à leurs services en cas de brûlure accidentelle ou de zona, ce qui ne les empêche pas de consulter parallèlement leur médecin. Ces coupeurs de feu ne demandent traditionnellement pas d’argent, mais il est d’usage qu’ils soient rétribués selon les moyens dont disposent ceux qui sollicitent leurs services. Cette pratique est tellement répandue que certains médecins n’hésitent pas à avoir recours très officiellement à des coupeurs de feu, notamment en oncologie, pour soulager les manifestations douloureuses de la neuropathie induite par la chimiothérapie. Cela peut sembler incroyable, mais, d’une part il n’y a pas de traitement symptomatique vraiment efficace de cette affection pénible, d’autre part ces pratiques d’un autre temps sont dénués de danger. Et puis il faut bien reconnaître que « ça marche » assez souvent, ce qui rend l’expérience pérenne. En réalité, cela ne se passe pas que dans l’Aveyron, mais les renseignements que je donne sont de première main.
Un guérisseur célèbre : Raspoutine
Raspoutine (1869 – 1916) est un personnage fameux de l’histoire russe, qui a sévi juste avant la révolution de 1917. Originaire de la Sibérie, sa vie est entourée de mystère qu’il a soigneusement entretenu en se présentant lui-même comme un pèlerin mystique et un prophète. Quelle que soit la vérité, Raspoutine était un aventurier doté d’un grand pouvoir de séduction (son regard magnétique est resté célèbre), et auréolé d’un pouvoir de guérisseur qui l’a amené à s’occuper, à partir de 1907, d’Alexis, le fils unique et hémophile du dernier tsar, Nicolas II, et de son épouse Alexandra dont il avait réussi à devenir l’intime. C’est donc sur le cas clinique du tsarévitch que Raspoutine exerçait ses talents supposés de guérisseur.
En revanche, ses nombreux ennemis, appartenant pour la plupart à la famille Romanov, celle du tsar, le considéraient comme un charlatan, qui plus est doté d’un énorme appétit sexuel. Ce sont ses ennemis qui eurent le dessus, puisqu’il fut assassiné lors d’un complot fomenté par des aristocrates proches du souverain.
Étiopathie vs ostéopathie
Il paraîtra choquant à certains lecteurs de trouver un chapitre sur l’étiopathie dans un article consacré aux guérisseurs, dans la mesure où il existe un diplôme officiel permettant d’exercer l’étiopathie, du moins en France (son pays d’origine) et en Suisse. C’est en fait parce qu’elle s’inscrit dans la tradition des rebouteux qu’elle figure dans en bonne place dans cet article. Elle ne doit pas être confondue avec l’ostéopathie, qui est une autre forme de thérapie manuelle, beaucoup plus répandue et tout-à-fait officielle. Le terme d’étiopathie a été forgé par le créateur de la méthode, Christian Trédaniel, à partir de deux racines grecques : pathos, la souffrance (que l’on retrouve dans de très nombreux termes médicaux, à commencer par celui de pathologie), et aitia, la cause. Trédaniel décrit en effet sa création comme une « science qui s’attache à déterminer les causes des maladies pour les éliminer », ce qui est, soit dit en passant, le principe de base de la médecine conventionnelle (cf. le traitement étiologique des maladies). Quant à la prétention scientifique, elle n’est étayée, comme d’habitude, par aucune étude scientifique (reproche que l’on peut faire aussi à l’homéopathie). Signalons enfin que Trédaniel s’est beaucoup inspiré d’Hippocrate et d’Ambroise Paré, considérés comme les précurseurs de la médecine dite manipulative. Ces références n’inscrivent pas vraiment l’étiopathie dans la modernité scientifique.
Depuis 2015 les étiopathes sont officiellement reconnus comme exerçant une profession libérale de santé. Mais leurs séances ne sont pas remboursées par l’Assurance maladie.
Guérison miraculeuse
Avec les guérisons dites miraculeuses, on franchit encore un palier dans l’inexpliqué, en sachant que la science ne reconnaît que des faits inexpliqués, et récuse le qualificatif d’inexplicable. Un miracle, qui est défini comme un fait extraordinaire et inexplicable, est donc une notion exclusivement religieuse. C’est essentiellement dans la religion catholique que sont relatés des miracles. Pour qu’une guérison soit considérée comme miraculeuse, il faut que la maladie soit incurable (un cancer en phase terminale en étant l’exemple le plus flagrant), et que la guérison soit déclarée, par un groupe de médecins, complète, durable, et inexplicable dans l’état actuel des connaissances médicales. Avec tous ces critères, la guérison est déclarée miraculeuse par un évêque. Tel est le protocole pour les guérisons miraculeuses de Lourdes. On notera le léger paradoxe qui consiste à faire employer le qualificatif « inexplicable » à des médecins, censés être des scientifiques.
Article publié le 3 décembre 2018