C’est une question qui continue de faire débat que de savoir s’il faut, dans tous les cas, dire la vérité aux patients.
Rien n’est pire, pour un patient, que d’avoir l’impression que les médecins lui cachent la vérité. Et si, tout simplement, ils ne la connaissaient pas toujours ? Rien n’est pire, pour un médecin, qu’un patient dans le déni de vérité.
Différentes sortes de vérité
Mais, au fait, qu’entend-on exactement par « vérité » ? En effet, il y a plusieurs sortes de vérité : la vérité scientifique (qui vaut pour tout le monde et en tous lieux), la vérité des religions (chacune étant supposée détenir la seule vérité, les autres étant dans l’erreur) ; la vérité des philosophes (et chacun d’entre eux a sa vérité, qui n’exclut pas celle des autres). Et puis, la vérité médicale.
Que la Terre tourne autour du Soleil, jusqu’à Galilée on l’ignorait. Mais, maintenant qu’on le sait, cette vérité ne changera plus (du moins tant que durera notre système solaire !) : c’est une vérité scientifique, une vérité "sanctionnée" selon l'expression du philosophe Gaston Bachelard.
Quel est le contraire de la vérité ?
La vérité possède plusieurs contraires : l’erreur, le mensonge, et, pour Nietzsche, la conviction. Ces trois notions contraires à la vérité peuvent être à l’œuvre dans le domaine médical : l’erreur est le contraire de la vérité scientifique ; le mensonge, c’est de ne pas annoncer à un patient la vérité sur son état ; quant à la conviction, qui est souvent le corollaire de l’expérience acquise, elle doit être combattue par la médecine factuelle, qui privilégie les faits au détriment des idées préconçues.
Et puis, il y a une autre forme de contraire de la vérité, qui est le déni : la vérité a bien été annoncée au patient, mais son cerveau n’a pas voulu l’entendre. Le déni est très fréquent, notamment en cancérologie, et très perturbant pour les proches du patient, ainsi que pour les soignants. La forme la plus extrême de déni, et aussi la plus connue, est le déni de grossesse. Un article de cette encyclopédie est consacré à ce sujet.
Vérité médicale
On ne cesse de le répéter, la médecine n’est pas une science exacte. Dans ces conditions, il ne peut pas y avoir, dans le domaine médical, de « vérité » au sens scientifique du terme.
L’histoire de la médecine, en effet, est jalonnée de vérités qui sont devenues des erreurs, et inversement. Par exemple, on a longtemps cru que les jeunes accouchées devaient rester alitées. On sait, depuis pas mal de temps maintenant, que cette attitude était responsable de nombreux décès du post-partum par embolie pulmonaire. La vérité actuelle, c’est qu’il faut se lever le plus vite possible après un accouchement, pour éviter les phlébites et les embolies pulmonaires.
Les médecins connaissent-ils toujours la « vérité » ?
Cependant, lorsque l’on évoque la vérité à dire ou pas à un patient, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Ce dont il est question, c’est de savoir s’il faut, toujours, donner à un patient atteint d’une maladie grave son diagnostic et son pronostic.
La vérité, "les yeux dans les yeux", selon un médecin-ministre alors en exercice
Avant d’aller plus loin, j’aimerais dire que les médecins, dont je suis, ont souvent l’impression que leurs patients les croient détenteurs de la vérité, mais que, pour d’obscures raisons, ils la garderaient pour eux. Quand j’explique à la famille d’un patient que je viens d’opérer que j’ai fait telle ou telle constatation, mais que j’attends les résultats histologiques pour me prononcer, ils ne peuvent pas s’empêcher de me dire des phrases du genre : « certes, vous attendez les résultats, mais vous avez bien une idée… ».
Vérité et annonce du diagnostic d’une maladie grave
Pour ce qui est du diagnostic, les choses ont bien évolué, en grande partie du fait que les patients sont de mieux en mieux informés en matière de santé, notamment grâce à Internet.
La règle tacite est donc, le plus souvent possible, de donner au patient son diagnostic, singulièrement en matière de cancer, ne serait-ce que parce qu’il est très difficile de proposer à un patient des traitements anticancéreux comme la radiothérapie ou la chimiothérapie, s’il ne sait pas qu’il est atteint d’un cancer.
Si chaque médecin a sa propre façon de procéder à cette annonce en fonction de sa personnalité, il est d’usage de dire qu’il n’y a pas de « bonne façon d’annoncer les mauvaises nouvelles ». Cette annonce est toujours une épreuve, non seulement pour le patient, mais également pour le soignant.
Ce dont je suis persuadé, c’est qu’il faut se mettre dans les meilleures conditions pour réussir cet exercice difficile : le faire dans un endroit adéquat (pas dans un couloir entre deux patients), en prenant tout son temps (cela peut être long), en choisissant bien son moment (on évitera de le faire chez un patient à peine sorti des brumes de l’anesthésie !). Il me paraît essentiel d’employer les mots les plus clairs possible, et ceux que le patient attend. A la fin de l’entretien, s’il s’agit d’un cancer, le patient doit avoir clairement entendu prononcer ce mot, et pas des périphrases fumeuses du genre « on a trouvé quelques mauvaises cellules dans ce qui vous a été enlevé ; mais, rassurez-vous, avec quelques perfusions, ça va s’arranger… ». Rien n’est pire pour le patient que de ne pas avoir compris ce que l’on essayait de lui faire comprendre à demi-mot. Ce type de discours, encore très fréquent il y a quelques décennies, reste trop souvent employé par des médecins effrayés par la nécessité de dire à leurs patients ce qu’ils croient être la vérité.
La « consultation d’annonce en cancérologie »
Conscientes de l’importance du problème, les « autorités sanitaires » ont institué la « consultation infirmière d’annonce en oncologie ». Il s’agit, lorsqu’un patient a appris qu’il était atteint d’un cancer, qu’une infirmière formée à cette tâche prenne le temps de lui expliquer, de manière très concrète, lors d’une consultation dédiée, ce que sera son parcours de soins, et de répondre à ses questions.
Les personnes âgées posent un problème particulier. En effet, elles sont souvent accompagnées par leurs enfants qui ont facilement tendance à penser que leur parent n’est pas en état psychologique d’entendre ce type d’information. Il faut alors essayer de voir quelle est la meilleure attitude à adopter, en sachant qu’il n’est pas toujours opportun d’annoncer à une personne âgée qu’elle a un cancer, si ce diagnostic n’implique aucun geste thérapeutique ni aucune surveillance particulière. C’est souvent affaire de « feeling » avec la famille. Mais, une fois la décision prise, il faut s’y tenir.
Annonce d’un pronostic défavorable
Le pronostic pose un problème bien différent. En effet, autant un diagnostic peut être certain, autant le pronostic, comme son nom l’indique, est aléatoire.
Les études statistiques permettraient de faire, à un patient qui poserait la question, une réponse du genre de celle-ci : « vu les résultats de votre bilan, vos chances de guérison sont de 20% à 5 ans », ce qui, reconnaissons le, ne serait pas facile à entendre. Cependant certains patients (pas tous, loin de là) sont en attente de ce type d’information. Mais, en aucun cas, il ne faut répondre à la question si souvent posée « Docteur, j’en ai (il ou elle en a) pour combien de temps ? », par une réponse chiffrée, (je ne vous (lui) donne pas plus de trop mois..) car, à la vérité, personne n’en sait strictement rien. La médecine n’a rien à voir avec l’art divinatoire !
Vérité pour la famille du patient en phase terminale
Mais il n’y a pas que ce que l’on peut ou doit dire au patient ; se pose aussi la question de ce qu’il convient de dire à sa famille. C’est aussi une question très difficile, en particulier lorsque le patient en arrive à ce que l’on appelle communément la « phase terminale ». Il n’y a bien sûr pas d’argument irréfutable qui permette à un médecin de savoir que son patient est entré en phase terminale, mais il convient qu’il sache annoncer avec tact à la famille qu’elle doit, dorénavant, s’attendre à une issue fatale à plus ou moins brève échéance. Là encore, l’épreuve n’est pas que pour celui qui va entendre ce discours de vérité.
Vérité pour le patient en phase terminale
Il n’est donc pas toujours facile d’annoncer un diagnostic grave à un patient ; encore plus difficile d’annoncer à une famille qu’il n’y a plus d’espoir. On comprendra aisément que l’épreuve la plus difficile et la plus douloureuse soit d’annoncer à un patient qu’il doit se préparer à une mort prochaine. Mais est-ce au corps médical de le faire ? A la famille ?...
La réponse relève plus de la philosophie que de la médecine, et l’on ne saurait édicter de règles. Chaque cas est particulier. Il me semble que notre société a un sérieux problème avec la mort, que l’on ne sait plus appréhender normalement. De plus en plus souvent, les patients sont dépossédés de leur propre mort, qui devient alors le problème du corps médical. L’idée qu’un patient puisse mourir sereinement chez lui, entouré de l’affection des siens, est de moins en moins répandue. Je ne suis pas sûr que cela soit un progrès.
Une belle leçon de vie
La leçon la plus forte qu’il m’ait été donné de recevoir pendant toute ma carrière l’a été par une patiente atteinte d’un cancer du pancréas, à qui j’étais allé annoncer dans sa chambre que la médecine ne pouvait plus rien pour elle ; alors que j’étais au bord des larmes en lui parlant, elle m’a dit, avec un grand sourire, de ne pas m’inquiéter : elle estimait avoir eu une belle vie bien remplie, et souhaitait rentrer chez elle pour mourir tranquillement, sans angoisse. Je n’ai alors pas pu retenir mes larmes en sortant de sa chambre, ému par tant de force d’âme.
La « vérité », c’est cette patiente qui la détenait…
Article publié le 6 février 2017